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DITS SUR LA POÉSIE
DE JACQUES GUIGOU
DITS SUR UN LIVRE
Sans mal littoral
Avènement d'un rivage
D'emblée
Augure du grau
La mer, presque
Par les fonds soulevés
Prononcer, Garder
Vents indivisant
Ici primordial
Sables intouchables
Temps titré
Ce monde au nid
L'infusé radical
DITS SUR L'ENSEMBLE DE LA POÉSIE
DITS SUR LES TRADUCTIONS
Avenimen d'un ribage
Lu par
Marc Wetzel
L'universalité de la torture le prouve : on fait violemment avouer ceux qui nous semblent seuls à savoir quelque chose d'intéressant. Mais d'un poète qui, en sens inverse, avoue toute sa vie quelque chose qui paraît plutôt indifférer les autres, et qui insisterait pour qu'un lecteur lui explique, du dehors, ce qu'il peut bien être seul à savoir - et dont lui-même (le poète) ne devine que le trouble associé, l'amère et pourtant jubilatoire insistance, l'effet sur lui de ce qui l'accompagne, à son insu, depuis à peu près toujours, de ce poète (né en 1941), donc, hanté par ce qu'il a affronté sans jamais l'avoir vu en face, que dire ?...
"Toute surface abolie bleus et blancs inédits ouvrent l'instant de mer la mer son lent tempo du petit matin cette certitude qui vient cette sérénité plein jour plein jour sans écaille plein jour aileron plein jour plein jour" (p.16)
... Qu'il est vieux, qu'il est seul, qu'il arpente sans mot dire quelques kilomètres carrés de la côte languedocienne, qu'il n'y attend personne (en tout cas, pas un quelqu'un qui serait déjà formé), mais qu'il se sent lui-même comme "attendu" par quelques micro-milieux qu'il traverse, par ses biotopes favoris, par les "éléments" constituant les canaux, les dunes, les arbustes, les filets (de pêcheurs), les lagunes et les pluies, qu'il croise ou pénètre.
"faire corps avec la peur du scarabée sur le versant sombre de la dune faire corps avec le sort des chardons bleus dévoués à l'emprise du sable faire corps avec le double de la dune deviné dans ces deux nuages dos à dos" (p.47)
Et ce n'est pas un délirant, pas un manieur de providences, pas même un fan de hasards, mais c'est bien ça qu'il fait : il y va, il se rend à certains endroits (en certaines heures, saisons et circonstances, sans doute) pour savoir si, oui ou non, il y avait, justement, "rendez-vous". Encore une fois, ni paranoïa, ni mythomanie, ni animisme (c'est un savant politiste et sociologue, un universitaire, un tout à fait rationnel sur lui !) dans cette constante et simple interrogation - qu'il mène et qui le mène partout : "Me voudra-t-on quelque chose ici ?".
"Venus sans y être tenus tiraillés entre tourments et extases leurs faces lissées par les rafales leurs pas guidés par l'appel de l'instant" (p.42)
Il vient voir ce que ça donne d'être arrivé où il est. C'est un touriste (un marcheur d'agrément, un visiteur à pied), mais ontologique, mais de micro-déplacements, mais perplexe et scrupuleux. C'est un collectionneur (en tout cas un collecteur) de présences personnelles. Et, à ce titre, avec les décennies qui roulent, passent et, une à une s'écartent, que sait-il, qu'en a-t-il appris ?
"Éveillé avec le regard du fond l'homme avance parmi les choses du bord de mer choses semblables et choses étranges accompagné par l'escorte des mouettes il rejoint ce lieu crucial où la mer sacrifie son sel pour les salins" (p.57)
Une certitude : partout où il va, il se met - littéralement - à la place de l'endroit. Par exemple, ce "littoral"; ce promeneur baroque semble spontanément et résolument renverser les rôles de l'immense rivage, et demander : qu'est un littoral, pour la mer ? Pourrait-elle y saisir son littoral ? S'y sent-elle, de quelque façon, débarquer ? Y a-t-il là pour elle côte - et côte flottante ?! Le litus latin (dont vient litoranus, et notre littoral) est mot d'étymologie obscure, mais si, comme Jacques Guigou, on prend la place de la mer, alors le participe passé litus (de lino-linere = étaler, couvrir) prend tout son sens. Le littoral devient ce que la mer, périodiquement, recouvre, barbouille, c'est à dire à la fois souille et efface. Il est son impossible, et inévitable flanc à elle (comme on dit flanc de colline, mais fluctuant), la côte thoracique du va-et-vient de sa respiration. C'est elle, la touriste de ses courants, le flanc de ses houles, la dévaleuse de ses rives. Et pour elle, quel mal y-a-t-il ? En son fond, bien sûr, elle est blessée de plastiques, de surpêche, des eaux usées de notre Éden industriel; mais là, sur le rivage où la mer enflée avance - avançant, non parce qu'on le lui dit, mais parce qu'elle gonfle selon les conséquences de ce que notre raison technoscientifique s'est depuis un bon siècle dit à elle-même, elle est exactement sans mal littoral !
"Sans mal ce littoral et sa bonne nécessité sans mal ces sables ensemençant sans mal l'éphémère substance de la mer sans mal l'observance de cette lumière sans mal
ces fleurs du tamaris d'été validées par le vent" (p.28)
Voilà donc ce que notre incessant promeneur est venu demander au bord mouvant et frémissant, de mer : le secret de l'absence en celui-ci du mal, car si les eaux littorales ne connaissent que la bonne nécessité, nous en connaissons toutes les autres (les contraintes fâcheuses, arbitraires, vaines, conflictuelles, contradictoires); si en elles matière et lumière se respectent (observance) l'une l'autre, et ne s'entre-répondent (ensemencement) qu'en juste mesure, nous violentons ce qui nous fait vivre et mourons de nous violenter; si le littoral ne retient que des fleurs de tamaris validées par le vent (c'est à dire à la fois brassées, fécondées et sauvées par lui), nos produits ne trouvent rien hors d'eux qui les recycle ou les justifie. C'est que nous, à l'inverse, jouissons mal - de ne pas savoir désirer, et désirons mal - de ne devoir que jouir. Alors que pour la nature littorale, toujours :
"Ici à même ces sables irréfutables tu sais maintenant que pour la mer désir et jouissance ne font qu'un" (p.29)
Sombre, c'est vrai, est ici la leçon de présence, mais la beauté du crépuscule n'est, pour la beauté elle-même, qu'une aube de plus ; littoral avec bien.
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Stephen Bertrand
Mon cher Jacques
Un Grand merci pour ce dernier beau recueil. Que te dire ?
Ce que tu creuses dans la dispersion soudaine d'un tamaris, c'est de mieux en mieux au filet remaillé du temps.
Ce fil ténu comme filet de sel en bijouterie des lumières. Entre émarger et émerger l'horizon, le strapontin de tes poèmes.
La dédicace d'un coulis à l'encre du taureau pour agiter lentement la scène au fond.
Dans l'érosion du silence tes sables au mica des mots.
Merci, merci. Au fond de la nuit ta vigilance contre mauvaise forme.
Qui chantera de la mer les profondes caravanes ?
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Franc et Gisèle Ducros
...de ton littoral il ne vient jamais que du bon : le mal en est exclu puisque tout y culmine et s'y résoud en une étreinte et un serment d'amour...
*** *** ***
Patrick Chavardès
J’ai lu Sans mal littoral avec plaisir et certains passages à voix haute, comme si je marchais sur le rivage. Ta poésie a un côté indéniablement maritime, sensuel et salé, en rapport direct avec l’âge des coquillages, l’espace des rivages et la matérialité de toute chose.
*** *** ***
Jean-Paul Gavard-Perret
Après avoir présenté en 2020 sa "Poésie complète 1980-2020", Jacques Guigou poursuit son chemin de halage en des bords qui ramènent au sentiment océanique de la vie. Il faut néanmoins une ondine, une sirène ou mieux : Vénus sortant de l'eau.
Elle est le fruit de la mer "remuée d'affects" et peu à peu dévoile sa pudeur et délivre ses offrandes pour le carnaval des sens. Au besoin et si elle tarde "les hommes des marais/avancent vers la mer".
En énigmes et maximes, la femme, augure d'impatience dans les glyphes du soir, semble prête à révéler son secret mais à distance demandée vue ce qui est en train de germer à pleins corps vers l'en-deça conservé.
Déjà l'offrande du delta est prêt à être à être profanée comme si lagune et marina resteront mal mariées. Mais qu'importe lorsque l'or du monde se résume à un golfe où s'embarquer jusqu'à l'aube.
22 janvier 2023
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Jean-Luc Pouliquen
Ce nouveau recueil de Jacques Guigou fait suite à l'édition de Poésie complète 1980-2020 qui a rassemblé ses vingt premiers recueils de poésie. Dans ce dernier opus Jacques Guigou poursuit un thème que nous avions déjà eu l'occasion d'évoquer dans une précédente chronique : sa fréquentation assidue des rivages.
Pour le poète, le littoral est source inépuisable de contemplations, de sensations, de désirs, d'émerveillements, de méditations et d'interrogations qu'il traduit dans une langue épurée et suggestive :
Maintenant
à même cette jetée
cet instant bleuté
analogue aux instants d'alors
instant non répété
mais instant relié
instant dont aucuns des éclats anciens
de la mer
ne lui est retiré
maintenant
à même cette jetée
ce rapt d'éternité
Commentaire publié sur le site
avril 2023
« Déplacé par les courants du Rhône le rivage revient chargées ou lestes les saisons de son passé signent ses lignes à venir altérés insatisfaits les sables de Petite Camargue n’en finissent jamais de faire des avances à la mer » (p.11)
Les côtes de Petite Camargue sont, depuis des décennies, le terrain de jeu et le royaume d’âme de Jacques Guigou. Aucun poète ne songerait à les arpenter aussi fiévreusement et obstinément que lui. Ce sont, loin devant les taureaux et chevaux du cru, de minces côtes sablonneuses où rien ne sait empêcher la mer de venir manger les dunes plus vite qu’elle ne les stocke. Dunes qui s’y disputent les rares bonnes places, entre les embruns qui frontalement corrodent tout, et les étangs, très vite derrière, qui les engloutiraient. « De tout temps ces mouvements hérétiques du littoral comblé à l’Espiguette creusé à la Passe des Abîmes » (p.45) Il faut prendre le titre du recueil avec toute sa malicieuse religiosité : avènement, c’est vraiment incarnation-surprise, arrivée réussie et comme débarquement d’un… bord de mer ! Toute une côte surgit ici, dans son compromis mouvant, rive globale à la fois menacée et veillée par la mer qu’elle borde. « vient l’instant où comme dans son jeu l’enfant dit à la mer vue, je t’ai vue avancer » (p.43) Avec ce poète qui entend littéralement se faire et se défaire tous les milieux de ce lido – la nature n’y semble être qu’un unique tapis roulant où ce qui commence patelles, algues et boules de mazout se continue euphorbes, oyats et lézards et finit prés de trèfles, talus de guimauves et rangs de tamaris – rester au bord de mer c’est justement monter à bord de l’incessant changement des êtres et des contextes. On voyage dans l’infinie divisibilité de ses semelles. « passé le mas Quarante sols l’âpre sentier sur la saline nous conduit vers un autre commencement » (p.14) Une escouade d’étangs littoraux, à l’eau plus froide que celle de la mer en hiver, plus chaude qu’elle au printemps, est comme un chapelet mutique tombé directement des mains de Dieu. Hérons cendrés et renards jouent les leaders par défaut de l’immense brousse rase et verruqueuse des sansouires. On est ici eux. « là silence des saladelles et là vivats des échasses blanches » (p.46) Si le langage général permet, bien sûr, au naturaliste de décrire la nature (d’en détailler les âges et les plans), le langage poétique permet en quelque sorte à la nature d’être pour nous sa propre guide, de nous mettre comme aux commandes de ses avances, péripéties et contournements. Jacques Guigou, pur pèlerin de la Substance, commandeur âpre et doux des incroyants, est le maître de la nostalgie impersonnelle. « là ce rivage soliste qui renie son origine là cette lumière vibrée où tout est donné » (p.26)
Marc Wetzel
in, La Cause littéraire
31mai 2018
https://www.lacauselitteraire.fr/avenement-d-un-rivage-jacques-guigou
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par Gisèle Pierra
merci Jacques de nous avoir envoyé "Avènement d'un rivage". Je m'y suis replongée avec joie aujourd'hui et sables, arbres et eau ont accompagné ma journée orageuse. Cette lumière et le silence que tu y fais retentir ! - Boucanet -Espiguette - tamaris - ponton - rivage qui revient ! Cette masse d'énergie qui est à refaire sans cesse…est ici offerte. Gisèle
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par Stephen Bertrand
Merci, Jacques, pour ce très bel "Avènement d'un rivage" qui nous dit ces airs chaloupés de la belle, quand elle creuse à l'appel du temps, le sursis argileux de nos paroles. Je ne suis pas un grand théoricien et critique mais je trouve, Jacques, en toute simplicité, que c'est de mieux en mieux ce que tu nous donnes. Ces hommes et chevaux qui épuisent la patience des dunes m'évoquent un peu Gaston et Jacques Gasc... Il y aurait tant de passages remarquables à citer dans ce nouvel opus.
Stephen Bertrand
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par Franc Ducros
Ton rivage, Jacques, est vraiment lieu d'accueil universel, capable, "dans l'écheveau des voix du large", de susciter "les âges sans mémoire de la mer", comme, aussi bien, là sous nos pieds, "certifiant (eux aussi) l'instant", ces "cristaux de sel" ou "le silence des saladelles"...
Tu as su saisir, et figurer ensemble, toutes les dimensions de l'espace du monde.
Franc Ducros
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D'une auditrice de ma lecture d'
Avènement d'un rivage
sur la radio FMPlus 91
dans l'émission Jardin d'Isis
animée par Marie-Agnès Salehzada
à Montpellier, le 21 juin 2018.
"Vous transcendez le rivage" m'a-t-elle dit. À quoi j'ai répondu qu'aucune transcendance n'est pour moi présente dans ce livre pas plus d'ailleurs que dans les précédents. Transcender un rivage, un paysage, un moment, une situation, un être, suppose l'accès à un principe supérieur qui interviendrait en médiateur du rapport entre le poète et le milieu naturel dans lequel il est plongé. Dans mon expérience sensible du rivage et de tout ce qui l'accompagne, il y a, certes, une vision, une sorte d'élévation, une tension vers un au-delà mais ces dynamiques sont immanentes, immédiates. Cet Avènement d'un rivage n'est ni religieux, ni philosophique et moins encore métaphysique ; il est cosmique ; il est totalisation immédiate avec les éléments naturels de ce littoral-là.
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par Jean-Louis Kéranguéven
Ce recueil aurait pu s'intituler « Lettres de la plage révulsée » ou « Lettres de la dernière tempête ». Tempête si nécessaire au poète pour son écriture, tempête qu'il recherche avec avidité dans les sables et les ors de cette Petite Camargue qu'il nous invite à parcourir. Car ça cogne, ça grogne souvent du côté du grau ! On en ressort tout frémissant, tout essoré de mer, de sable, de cordages désossés par la lutte perpétuelle des éléments dans la « communauté des météores ». Nous sommes à notre tour jetés sur le rivage « lieu de révélation pour les poètes » ainsi que le souligne Kenneth White, mais sans cesse avides d'un nouveau parcours polysensuel quasi vital que Jacques Guigou sait si bien nous faire partager, cherchant à l'infini « le juste cap » .
publié dans la revue
La main millénaire, n°20, hiver 2019, p.168.
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Réponse à certains lecteurs/auditeurs après ma lecture de Avènement d'un rivage dans l'émission "Jardin d'Isis" sur radio FMPlus 91 à Montpellier le 21 juin 2018
"Vous transcendez le rivage" m'a-t-on écrit. Je réponds qu'aucune transcendance ne me semble présente dans ce livre pas plus que dans les précédents. Transcender un paysage, un moment, un être, une situation, suppose l'action symbolique d'un principe supérieur qui intervient en médiateur du rapport entre le poète et le milieu naturel dans lequel il est plongé. Dans mon expérience du rivage et de tout ce qui l'accompagne, il y a certes, une vision conjuguée à un mouvement d'élévation mais l'une et l'autre sont immanents, immédiats. Cet "Avènement d'un rivage" n'est ni religieux, ni philosophique et encore moins métaphysique. Il est cosmique ; il est totalisation immédiate avec les éléments naturels de ce littoral. Je ne peux ici que ressaisir ce que je répondais à Marie-Agnès Salehzada au cours de l'émission : "C'est la sensation immédiate de ce milieu dans lequel je suis plongé qui "dicte" mes strophes. Je me sens, en quelque sorte, sous la dictée du rivage". Plus loin, je poursuivais : " ...cette sensation de toucher l'infini du cosmos, comme si je touchais la naissance de l'univers". Note JG du 23 juin 2018
Avenimen d'un ribage
édition bi-lingue traduit en provençal par Jean-Claude Forêt
L'Harmattan, 2019
Cher Monsieur GUIGOU,
Je viens d'achever la lecture de votre Avenimen d'un ribage. Je vous remercie pour cette lecture "vivifiante", au rythme des embruns et des cris de goélands. La Camargue s'y ressent, s'y respire, s'y voit.
En vous lisant j'ai pensé à d'Arbaud, à Baroncelli, à Henriette Dibon, pour l'inspiration provençale. En découvrant la flore et la faune, c'est vers Genevoix et Jules Renard que mon cœur est allé. En laissant se peindre vos paysages palustres dans mon esprit, j'ai revu Nicolas de Staël... Mais votre poésie a surtout son charme propre. Evanescente, douce, aqueuse, apaisante. On sent le poète qui contemple. Je revois Nouradoun Blanquet, le héros de L'Antifo de d'Arbaud, fixant l'horizon maritime à la fin du roman.
C'est donc un profond remerciement que je vous envoie, pour cette lecture si agréable.
En vous souhaitant une très belle fin d'été,
Couralamen,
Emmanuel Desiles
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"Avenimen d'un ribage" es per ieu una granda e polida doçor.
Paulina Kamakine
De Stéphen Bertrand
"D'emblée, merci, pour ce "D'emblée" qui impose ses assauts (staccato) jusqu'à aiguiser toute prétention de dunes et de roches. Belles paroles salines encore à feuilleter comme roselières..."
Stéphen Bertrand
20 juillet 2015
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De Frédéric-Jacques Temple
"Merci pour ce nouveau recueil que je vais lire à coté d'un ventilateur. Je suis admiratif devant votre production qui me paraît inépuisable."
Frédéric Jacques Temple
22 juillet 2015
***** ***** ***** De Franc Ducros
"(...) je trouve ton livre où j'entends, à chaque page, s'élever non pas toujours, heureusement, "le soupir", mais toujours les "grouillements et frétillements" des "espèces de la mer". Ta fidélité à ce lieu, cette mer, là, cette terre, là, est une chose admirable et je te remercie de m'en faire partager les éclats que tu sais en tirer".
Franc Ducros
7 août 2015
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De James Sacré
Cher Jacques Guigou,
Merci beaucoup pour les poèmes si sobrement et passionnément marins de votre livre D'emblée ; ceux-ci (Dans l'œil de l'oubli), plutôt terriens, mais inquiets aussi d'un "infracassable secret" qui n'existe peut-être pas, sinon dans les mots mêmes du poème.
AmicalementJames Sacré
à Montpellier en août 2015 - en partant pour le Maroc...
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De Marc Wetzel
Dans la vie, Jacques Guigou (né en 1941) est un intellectuel militant, qui réfléchit activement, en temps réel, sur les dissonances et disparités de son époque. En poésie, bien sûr, le voici, tout au contraire : contemplatif, lent badaud du littoral méditerranéen, nostalgique, impartial observateur des dunes, algues et marais. Comment comprendre alors cette sorte de parenthèse anhistorique, cette séquence de détachement enchanté (qui n'est pas la première, car voici son dix-neuvième recueil de poésie !) dans l'engagement socio-politique constant d'une démarche ?
C'est peut-être qu'il reste militant dans son attention même aux choses non-humaines, qu'il est sensible au travail propre du réel, au jeu dialectique de ses éléments, aux élans et affres de la société naturelle du monde. Ce baroque cheminement marxiste parmi les saladelles et les arapèdes n'a rien de dérisoire : cet (en apparence) oisif arpenteur de détails de bord de mer arrive à nous ... en lucide et inquiet citoyen de la côte camarguaise. Singulier auteur ! Voici comment :
Il est le plus souvent devant la mer, par exemple en enfant qui attire à lui les vagues et fête les embruns : « Grâce à l'audace de la vague/ audace tenace/ mais audace d'un instant/ grâce à cette audace de la vague/ l'enfant du front de mer/ ose s'énamourer/ sur le môle/ dès lors devenu hyménée/ le vent inéluctable/ n'arrête pas l'arrivée de la rencontre/ et de ses aléas » (p. 11)
mais il est aussi dans la mer, progressant en nageuse scrupuleuse, loyale : « Comblée/ par la lumière totale de l'été/ la femme de la rive/ ne parvient pas à dire/ la part qui se retire/ dans la mer/ avancée jusqu'à mi-corps/ elle veut maintenir/ ce que les autres disent mort/ à lentes brassées/ elle nage vers cet horizon délié/ qui vient à sa rencontre » (p. 23)
il est parfois sur la mer même, faisant entendre le « soupir » créaturel de ressources surexploitées : « L'épais soupir s'élève/ de l'amas de poissons/ soudain lâché sur le pont du chalutier/ dans grouillements et frétillements/ s'entend la complainte/ des espèces de la mer » (p. 46)
mais où qu'il se place, l'auteur ausculte les forces à l'œuvre, en scribe de l'alternance des contraires, spatiale d'abord, « coquilles qui se font/ fossiles qui se défont » (p. 33), fossiles que par ailleurs « les eaux de mer voilent et dévoilent » (p. 45),
mais aussi temporelle, « Serrées puis desserrées/ par les spasmes de la mer/ les algues rousses de la jetée/ rajeunissent leurs rochers... » (p. 49)
comme si Jacques Guigou savait prendre pour nous le pouls vrai de l'Évolution.
Réellement, il figure la sorte de droits et devoirs mutuels des éléments, dans le rendu de choses qui, à la régulière, se défendent les unes des autres, et se défondent, se destituent, les unes les autres – moins par la loi du plus fort que par celle du mieux influent, du plus durablement prégnant : « Assaillie par le dernier coup de mer/ la dune a laissé s'effriter/ les certitudes de ses plus hautes touffes/ sous la critique des vagues/ sables et racines/ ont cédé de leurs croyances/ de leurs croyances/ conquises depuis peu/ contre le mouvant et l'accident » (p. 48)
Tout dans cette étrange poésie relève d'une sorte de panthéisme activiste, où la voix interroge une sorte d'Immémorial actuel, en secrétaire de Déluge, en porte-voix nuancé, mais incorruptible, du lamento déterministe de l'Univers, de « l'infracassable » toutes-choses-causantes-et-causées de l'Être.
C'est un homme qui connaît les cruautés incompressibles de la vie, quand « la lame sauvage du sagneur/ déloge la macreuse qui couve » (p. 34), oui, l'alerte et fragile macreuse, poule-de-mer dont la chair même a goût de poisson ! même si les cruautés ont pu venir aussi de lui, « Tiré de sa coquille/ par l'enfant qui le taquine/ le bernard-l'ermite/ rougit de sa mise à nu/ égaré dans les rochers ... » (p. 21),
mais cela ne l'empêche pas de se tenir en joie, à la vitesse nécessaire de la liberté, récoltant à leur rythme les possibles : « ...ce beau milieu/ qui n'est pas un abri pour lui/ au matin l'enfant n'essaie pas de sauter/ par-dessus son ombre/ il trépigne à la pensée/ des chemins qu'il pourra parcourir » (p. 13)
et pardonnant à l'impossible, dans une sorte de prescription concédée aux faits de l'abîme : « Après l'assombri et le meurtri/ ce que la mer laissait encore apercevoir/ de l'épave de guerre/ n'est plus vu ni connu ... » (p. 7)
Pour souligner encore la singularité de cet homme et d'une démarche qui porte la contradiction dans son recueil même des choses, on dira que ce panthéisme est pragmatique, est humaniste, est mystique,
pragmatique, car on voit dans ce poète une sorte de magicien public (mais secret), qui œuvre fonctionnellement à la transfiguration de tout, en guetteur bénévole, en guide intérieur des gémissants efforts de la Création (dont parle une fois Saint-Paul), ce « familier de la jetée », « homme des marais », « amateur de l'évènement », « marcheur du môle » se présentant fidèlement comme un « devin du rivage », qui, rituellement, « se confie à l'humeur de la vague », parce que pour lui, réellement, le littoral se fait « auteur des bonnes mises au monde ». humaniste, car soucieux de l'avenir réellement semé, et n'oubliant jamais - en vaquant sur les Lidos - que l'eau monte, que le littoral se bétonne, que la surpêche épuise la mer, mais soucieux plus encore de chanter l'intensité des situations biophysiques, le nœud intact de leurs lumières !
et mystique pourtant, car on ne peut pas jouer, sur des décennies, comme il fait, au Pierrot des bacs (du Sauvage), des forts (de Peccais), des phares (de l'Espiguette), des estuaires (du petit-Rhône), fixer inlassablement les couleurs locales en leur visibilité globale, sans stationner devant une Porte vue de soi seul. Le titre énigmatique de ce recueil (« D'emblée ») résume le signal de présence suffisante qu'il poursuit, la surprise pour lui continuée d'une sorte de perfection d'office, où se « rencontre » l'instant de grâce, le moment héritier de la totalité du temps (un héritier indiscutable, comme né directement avec sa couronne), pendant lequel et depuis lequel « la journée de joie ne se laisse pas faire » (p. 52)
« d'emblée/ ce berceau ajointé à son ombre/ d'emblée/ cet appel aux grands jours à venir/ d'emblée/ cet air au plus-que-parfait ... » (p. 53)
C'est un vieux poète, un homme déroulant ses « paroles premières à la levée des lèvres et des vagues », et qui obtient, quand « la prose du monde se tait », de faire surgir, dans une farouche élégance, « le coup de patte de ce qui n'apparaît pas ».
Marc Wetzel février 2016 Paru dans la revue Traversées (Belgique) en avril 2016 en ligne ici
https://revue-traversees.com/2016/02/22/jacques-guigou-demblee-lharmattan-2015/
31 août 2012Un grand merci pour ce nouveau recueil, en fait un livre-poème. Grau est presque l'anagramme d'Augure. On y est dans l'air du pays Bien à vous
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Montpellier, 3 septembre 2012
Cher ami,
Merci beaucoup pour ton dernier livre qui rejoindra les précédents dans les rayonnages de la maison familiale à Carnon, au bord de la plage, face à la mer des rêves et des légendes où Callimaque voyait la matrice même du poème. Je le relirai le matin en contemplant le lever du soleil sur l'infini des songes.
Jean-Frédéric Brun
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Pignan, 10 septembre 2012
Cher Jacques,
du Grau j'accepte, venant de toi, l'augure que la poésie, nommément la tienne, les ouvre vraiment, ces martellières par où affluent les eaux vives du monde. Merci, cher Jacques, et puissent les deux lettres — D,E — qui "ouvrent" l'anagramme, te fournir tes futurs instants de "levée du monde".
Amitiés
Franc Ducros et Gisèle Pierra
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À propos de AUGURE DU GRAU (2012)
L’Harmattan
« Rassemblées sur les tuiles/chagrines/de l’hôtel d’Angleterre/les mouettes repues/entonnent leurs lamentos/Avec le flot repoussé/par l’étrave blessante du chalutier/le temps serre le cœur »
Eh bien, Jacques Guigou, comment survivez-vous à tant de guets ?
Comment avoir approché d’aussi près, aussi méthodiquement, avec une telle ardeur, le silence de la nature n’a-t-il pas neutralisé à jamais votre (farouche et noble) faconde ?
D’où savez-vous ces choses qui « échappent à l’ordre des choses » ? (car la nature n’a pu vous les révéler, puisqu’elle y perdait elle-même ses traces ; et vos maigres auxiliaires, vos évanescents relais – une navigante, des femmes des lagunes, d’anciens pêcheurs amateurs, des sirènes de l’hiver, les familiers des marais – n’ont pas ensemble le dixième de votre courage !)
Votre visa pour la nursery démoniaque des êtres, qui vous l’a donc délivré ? (ce placenta de brume, obscur, et dont les choses mêmes s’extirpent si tard et si mal, comment le connaissez-vous ? Où étiez-vous dès l’origine placé pour savoir comment les choses adviennent en accouchant malaisément d’elles-mêmes ? Car nous entendons bien que vous le savez !)
Où avez-vous appris comment le monde recycle le désaffecté de lui ? (« Vigie devenue saxophone/la colonne de l’ancien phare/exécute les diatoniques/de la tempête ») : on dirait votre oreille née directement de la Mélodie !
Et quel ami êtes-vous devenu des bêtes pressées, des forcés d’être indifférents à eux-mêmes (les canards, les frégates, les avocettes, les fous de Bassan, les macreuses, le butor coincé par l’incendie soudain du marais, les aigrettes …) ? Que vous importe tant leur agonie ? Pourquoi leurs cris inintelligibles pour nous savent-ils vous enjoindre au meilleur ?
Jacques Guigou, pourquoi perdez-vous toute timidité en articulant votre chant ? Car vous semez, vous distancez, vous abandonnez à elle-même votre image de vous dès que vous lisez publiquement vos mots ! Et même dans notre lecture muette de vos recueils, vous êtes sur la grève commune à scander dans le vent ! Vous dites : tout ce qui avance vraiment « est coupé de ses arrières ». Mais comment le pouvez-vous ?
Vous dites : personne n’explorerait quoi que ce soit en restant à couvert. Mais comment l’osez-vous ?
Car vous êtes un intime de la Grande Affaire. On le sent, on ne vous envie pas votre native exposition. Vous semblez mieux savoir qu’un marin pourquoi naviguer torse nu sale la peau ; mieux qu’un insecte des sables ce qui scie toute hauteur de sens et condamne au discours écrasé, à la parole horizontale ; vous paraissez savoir ouvrir pour elle la bouche des baies, des ports !
Vous, le militant sincère, le politico-historiquement actif, l’homme qui fait bouger les lignes de ce qui est bougeable, et remue le destin de ce qui en a un, vous, pourtant, qui n’espérez rien du littoral, des dunes, de la mer même (« étrangère – comme vous l’avouez divinement - à toute liberté »), parce que vous savez que leurs lignes ne peuvent jamais ni bouger ni répondre, comment supportez-vous d’inlassablement chanter, tous les matins de votre vie, ce qui jamais ne console ?!
Vous refusez même si peu que ce soit de jouer des éléments (sur le sable et les jetées d’ici, que vous arpentez pourtant plus souvent qu’un plagiste, qu’une mouette même !, il n’y a pas un surfeur – vous méprisez ces bouchons vivants sur l’écume, pas un plongeur – l’apnée vous semble être misérable performance de mammifère marin, et pas même un estivant, pas un seul enfant à seaux et pelles)
Le seul enfant qu’on voit dans votre texte, une fois, est vous, un petit garçon tout sauf nostalgique (hier, déjà, Jacques Guigou, vous étiez effroyablement attiré ici, mais rien ne vous attire moins qu’hier), qui suivait amoureusement la prudence sans maître de son père :
« Pour conjurer la menace des mines/l’enfant pose ses pieds/dans les pas de son père/par l’ouverture du blockhaus/à moitié ensablé/l’enfant n’observe/aucune guerre imaginaire/seul vestige des violences passées/ces barbelés défaits/qui hérissent le rivage »
Jacques Guigou, vous assimilez sans trahir (sans même superposer en vous les formes de vie approchées et comprises ; vos différents âges ne se cachent pas les uns les autres !) ; vous êtes l’homme au lancer, et lui seul, quand il maudit sa prise (une baudroie) ; l’homme de mémoire, et lui seul aussi, lorsque la grâce mobile d’un refrain de baisers est ce que vous venez attendre ; l’homme du large, et lui seulement encore, quand agenouillé sur les rochers qui ne sont jamais secs, vous bonifiez les jours à venir…
Et votre amour des choses est poétique ; il n’est pas écologique (je crois que vous préférez les frégates à leurs défenseurs, et que dans son progrès sans frein ni fin, l’homme cède à la saveur du mauvais infini, alors qu’elles, non – cela va sans dire pour vous ; cette sollicitude raisonnée vous paraît presque insulter ce qu’elle ménage ; et l’homme ne peut pas plus se guider sur ce qu’il défait du monde qu’il l’a pu sur ce qu’il en faisait) ; il n’est pas religieux (Dieu ne vous intéresse pas ; si les êtres qui n’entrent pas dans le jeu vous importent, ce sont seulement ceux du monde) ; il n’est pas scientifique (les transitions de phase vous fascinent, mais seulement vues du flocon qui cristallise ou du glaçon qui fond). Votre amour des choses est éclairant et contagieux ; il est né avant l’aube qu’il fait comprendre, il ne se couche – par principe furtivement – qu’après le crépuscule.
Pour moi, la Croix est le volant de la Mort ; pour vous – plus profondément, plus honnêtement, plus fidèlement, Jacques Guigou – les brisants du Boucanet sont la suffisante barre de la Nuit.
Marc Wetzel.
Octobre 2012
publié dans SOUFFLES, printemps 2013, n°240-241, p.290-292.
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Augure du Grau
Coll. Poètes des cinq continents. Éditions L’Harmattan. Paris, 62 pages, 10 euros.
La poésie de Jacques Guigou ramène à un sentiment océanique de la vie par delà tout ce qui la taraude comme la mer creuse le sable. Ce livre devient la dune en sursis qui surplombe les vagues et les abîmes. Il ne s’en satisfait peut-être pas mais il unit le lecteur à ce qui le dépasse. Augure du grau permet en effet de voir et de toucher au pouls du cosmos caché dans les plis des vagues.
C’est donc en mer que le poète va à la rencontre de l’étranger en lui : il y est à découvert car en elle il n’existe pas de refuge. Les mots ont fort à faire pour l’affronter. La mer ne distrait pas de la mort mais peut faire surgir une poésie vitale là où le vent d’Autan « ouvre les martellières du monde ». Car le passage à l’élément marin ne peut se faire que là où il rejoint « l’indécidable couleur du sable » : dans les aléas du delta de Rhône comme dans celui des nuages. Dès lors avec Augure du grau la poésie devient un mirage que l’œil de Guigou apprivoise. Il n’a pas peur de s’engouffrer dans des lieux qui s’ouvrent et se gorgent d'alluvions pour ensuite reprendre le large « face au vent qui violace ».
Comme le Grau la poésie devient soudain littorale : à savoir non une frontière mais le lieu du passage. De la grande prêtresse maritime l’auteur se fait épigone afin de dire à l’homme ose qui tu deviens, ose le génie de ton lieu de passage, ton marais d’âge. Le Grau représente au sein de ses moirures argentées et au milieu de ses fractures l’espace qui permet non seulement aux chimères de vagabonder mais à l’inéluctable de se faire entendre. Dans le feu changeant des plages et des rochers la nostalgie « attirée par les brisants » y trouve sa crique. Mais — et tout autant — le futur provisoire peut s’arrimer aux fragments d’absolus courants entre marais, étangs que sont les mots. Ils servent chez Jacques Guigou à ébaucher le bateau ivre prêt à affronter celle qui « étrangère à toute liberté » suscite pourtant « les sentiments du tout ».
Jean-Paul Gavard-Perret
Chambéry, 1er octobre 2012
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En Beule, le 29 décembre 2012
Cher Jacques, Tout d'abord te remercier pour Augure du grau; ce bord de mer et son vocabulaire qui fait le ventre des voiles.
Joël Bastard
25 juillet 2011
« Merci pour cette « mer, presque » mais proche.
N’allez pas sur les plages. Attendez que septembre vide le sable des larves estivales.
Cordialement
Frédéric-Jacques Temple
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14 août 2011
Cher Jacques Guigou,
Je vous remercie de votre envoi de « La mer, presque ». C’est avec plaisir et sympathie que j’ai lu et relu ce recueil, qui célèbre avec sensibilité un rivage auquel je suis moi-même très attaché. Il y a aussi des paysages fondamentaux qui nourrissent notre imaginaire.
Jean Joubert
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Pignan, le 19 septembre 2011
Cher Jacques,
Tu es habité par la mer — celle, toute proche, que nous connaissons de l’enfance, et celle — la même — infiniment hors de portée, que nous pressentons au plus intime.
Ton « presque », du coup, m’a ravi, comme expression la plus juste de cet entre-deux qui ne cesse de renouveler ta parole, dès lors qu’en effet, le « gris banal » de la mer dans le noir, contient en soi tous les possibles, c’est-à-dire indissociablement, de nous et du monde.
Merci de ce cadeau, et pardonne-moi d’avoir tardé à te dire le bonheur qu’il m’a donné.
Franc Ducros
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Par mèl, le 28 septembre 2011
Cher jacques, (...) la lecture de tes poèmes m'est agréable, quoique je ne parvienne pas, en quelque sorte, à les traduire. Je ressens comme un murmure en lequel s'affirmerait la recherche d'une sérénité.
Bien à toi Jacques Camatte
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Par mèl, d'Aigues-Mortes, le 13 septembre 2011
Bonjour, Jacques,
Merci infiniment pour le recueil. De très beaux textes, très musicaux, qu'on a envie de lire à voix haute. Et une sensation de grande sérénité.
Magali Morin
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Note de lecture
Jacques Guigou - La mer, presque
Éditions L’Harmattan, publié en 2011
par Gaston Marty
Je perçois l’agacement de quelques grincheux : « encore la mer ! » En revanche, elle est pour nous particulièrement précieuse dans sa présence nuancée et la proximité des lieux chers à nos provenances, un « pays » assez proche des sites évoqués : les étangs de Camargue, les Costières du Gard, voilà qui ravive mes souvenirs des Corbières et des étangs du Narbonnais. Autant de sites proches d’un golfe léonin, furieux ou adouci. La fine pointe de l’épée du poète fouille ce pays d’exception qui nous habite et entraîne dans ses caprices et sa solidité. Plutôt que de se perdre en vaines palabres, je préfère ici tenir debout une citation qui mérite amplement cet honneur de par la sensation diffuse d’éterniser l’instant sur le rythme d’une omniprésente mer, d’un juste soleil.
Il se forme
ce ballant
de suffocation à invocation
il est graveur
ce ballant du cœur à l’extérieur
il dure
ce ballant de l’une à l’autre mer
ce ballant
en cercle sur le sable
ce ballant
sans aube ni crépuscule
ce ballant
ce ballant
ce ballant
Ces répétitions de vague, ces marches du soleil fixent la précision implacable, imprenable, d’êtres qui respirent. D’autres pages nous enchantent par ce mouvement régulier, par exemple celle où on entreprend des travaux pour ouvrir la « rue de l’amour », rue trois fois répétée, au bénéfice du délectable. Quelques cuistres ont beau se gausser de ces sortes de berceuses. Oublierons-nous pour autant l’effet enchanteur et hypnotique de celles-ci, au parfum d’espoir et de désir ? Vrai genre poétique, ladite berceuse, destinée à endormir l’enfant, elle joue chez Lorca le rôle de porteur ou cristallisation de l’angoisse. Tel est le cas de la cavale noire qui ne veut pas boire, dans « Bodas de sangre ». D’ailleurs ce poète espagnol a écrit une étude sur la « nana », chanson pour endormir et chanson qui dit la souffrance. Le très connu « p’tit quinquin » du Nord comporte des strophes qui, dans les corons, chantent la misère ouvrière. Nous voici loin de la mièvrerie.
L’envoûtement obstiné du balancier porte en lui la fraîcheur marine et la brûlure solaire ; chez Jacques Guigou, le temps mesuré et qui emporte à la frontière peuplée du vide. Pensons à Pierre Seghers qui, grâce à son sens du tragique, dit que « au loin déjà la mer était restée ». Les silences, les surprises, l’abandon momentané du port, le retour attendu (on n’oubliera pas le « comme un nageur qu’on attend plus » de Léo Ferré dans « C’est extra »), le sans-retour, voilà le charme, au sens profond pour rappeler que l’ordre naturel n’obéit à nulle injonction des dictatures humaines ou inhumaines.
Le flot mime le temps sans grimace, il donne le ton, il relie l’être humain à l’élément liquide, nous convoquant dans l’unité parfois tourmentée de la Méditerranée. Ce que le poète traduit par une intervention indispensable où l’œuvre écrite reconnaît la valeur de la parole, du « parler ». Magnifique spectacle « tant aimé », de l’écrivain qui ne se rabaisse pas à de vaines fioritures. Nous assistons à la double émotion du spectacle mouvant et cadencé et à l’épanouissement du poème : « La strophe / maintenant s’enfante / dans les saccades lointaines de la mer ». Le « travail » de celle-ci rappelle à l’évidence celui de la parturiente. La joie et la crainte nourrissent « l’inspiration » à un sens commun. D’où cette saisissante apparition : « L’homme au parler clos s’est levé / le cœur serré / sans motif ». Ces vers répétés rappellent aux mortels que nous sommes le devoir de vérité, de sincérité, cette dignité qui consiste à rester des « indignés ». Ils ont peur, mais ils tiennent. D’aucuns se sentent soutenus par la transcendance. Qui sait ? Un miraculeux condensé de vie à pleines mains, à pleines voix et ce cœur serré qui nous étreint au lever du jour.
Point n’est besoin d’insister sur l’admiration que suscite l’alternance des ensembles majestueux et des moments furtifs, essence d’une poésie habitable et intègre de présence au monde. Savourons sans tapage l’automne « à demi-mots » et les « algues émigrées », autant de placides compagnons de vie.
En cet attrayant mystère ne manque pas la sensualité discrète : « sa hanche / tant de fois suivie des yeux », qu’il s’agisse d’une femme ou d’une dune déplacée. L’alliance des eaux repousse le couchant en toute discrétion. Successivement se vide et se rempli le port. Le marin perdu a laissé son langage à flot. Une certaine atmosphère de regret, de nostalgie se double d’une satisfaction secrète d’acte inaccompli, cousin du désir. Aussi, en une allusion au terroir vigneron, cette remarque : « Ils résistent / ces raisins muscats / qui ne seront pas tous cueillis » ; est-ce oubli sur souche ou suggestion du choix de manger à vif, hors vinification ? Écrivain-poète, Jacques Guigou nous fait don de cette écriture spontanée (mieux qu’automatique).
Je me permets de lire pour serrement de cœur ce bouquet composite qui puise au souvenir du temps lointain et du présent vraisemblable. L’amoureux peut-être, l’observateur de finesse et rigueur, l’ami de l’arbre sacrifié et offert en lieu et place d’un message tel que l’aime le poète lorsqu’il lance :
Lettre inachevée
les rameaux du mûrier
arrachés par l’orage
raturent le rivage
SOUFFLE
vol.71, n°238-239 automne 2002, p.373-375.
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Dialogue sur la poésie de Jacques Guigou
à propos de
La mer, presque
L'impliqué - 2011
ISBN 978-2-906623-19-4
Dialogue enregistré en vidéo et consultable ici
http://www.youtube.com/watch?v=QBxBWKK9KHY
http://www.youtube.com/watch?v=hzc3Eu3woBg
Stéphen Bertrand
Jacques Guigou, nous nous connaissons ; nous allons donc nous tutoyer au cours de cet entretien.
Jacques Guigou
Volontiers.
SB
Nous allons profiter de la sortie de ce livre, d’abord pour en entendre quelques extraits et ensuite approcher quelque peu cette oeuvre qui commence à être conséquente.
JG
Je lis quelques strophes de ce recueil intitulé la mer, presque.
SB
Ce sont des extraits de la mer, presque ou de... presque la mer, je ne sais pas ? Peut-être tu peux nous répondre ?
JG
Je préfère la formulation la mer, presque pour marquer, finalement, que la poésie n’atteint jamais ce qu’elle vise, et que donc, ici, la mer n’est pas un objet qu’il s’agirait de magnifier, de célébrer car je pense que la poésie n’a pas d’objet ni de sujet d’ailleurs. La mer est une présence et on pourrait dire avec ce « presque » qu’il s’agit d’une présence approchée de la mer. Je souhaitais que la mer soit dans le titre. Même si la mer est déjà fort présente dans mes précédents livres, cette fois je souhaitais qu’elle apparaisse dans le titre, ce qui n’est pas facile... et c’est devenu la mer, presque.
SB
Je voudrais rebondir sur ce que tu dis, là, maintenant, car à la faveur de cet entretien j’ai parcouru, au moins tes quatre derniers ouvrages et j’ai l’impression que pour illustrer ce que tu dis, il semblerait que ta poésie s’ancre, s’amarre à quelque chose qui par nature n’est pas stable : des sables, des rivages « grignotés par le vent » ou par la mer ou qui s’amarrent au vent. J’ai l’impression que cet aspect fugace et fuyant est souvent présent et je me demande si, au fur et à mesure qu’on tire le fil de cette pelote à la lecture de ces livres, on n’est pas dans une sorte de journal d’une parole qui n’a que rarement prise sans le consentement des éléments.
J’avais pointé une formule dans un des recueils précédents : « l’insuffisance fertile des mots » et ces éléments qui fuient, comme l’eau ou le sable qui fuit entre les doigts et puis aussi cette fascination qu’il y a dans ces paysages, qu’on retrouve dans toute ton oeuvre, qui sont des paysages de l’entre-deux ; entre terre et mer, entre mer et terre, on a l’impression qu’il y a constamment une lutte entre ces éléments et un troisième point qui me semble important (il y en a aussi un quatrième chez toi), c’est la lutte du langage pour advenir et pour prendre place dans ce monde.
JG
Oui. Ta manière de ressentir et de résonner à mes strophes me touche. Il y a cette évanescence, ce mouvement de décomposition et de recomposition et cela se joue, bien sûr dans les mots, dans le langage, je préfère dire dans la parole.
Dans ces moments de tension entre les éléments ; les éléments ne sont pas pour moi un support mais une immersion, une immédiateté ; c’est d’emblée que je me trouve dans cet univers, très physique, très immédiat, dans lequel les mots — une sorte de chant mais pas toujours organisé comme chant bien évidemment — surviennent de manière parfois dispersée, parfois en abondance, une immersion dans le monde qui abonde.
SB
Peut-être pourrions-nous — et cela n’est peut-être pas innocent — évoquer ce pays de l’enfance qui est un monde de terre et d’eau mélangé et de vent et donc proche de la mer, bien sûr, et dont on trouve la présence très forte dans ton oeuvre. Peux-tu nous en parler un peu ?
JG
Oui. Sans aucun doute, mes expérience de l’enfance y sont prégnantes ; ma vie au milieu des terres de la Petite Camargue, puisque de Vauvert j’allais souvent dans les marais où le vent, l’eau et la faune sont très proches et puis les étangs et la mer, ce lido du Grau-du-roi où j’ai passé tous les ans deux mois d’été depuis ma petite enfance jusqu’à mon adolescence. J’ai fait là une expérience assez fondamentale, bouleversante. Revenant plus tard sur ces terres et ces eaux, j’ai constaté que j’écrivais là ; ce n’était pas une recherche délibérée, mais c’est là que j’écris, et, de fait, je ramène du Grau-du-roi, parfois quelques strophes...
SB
... au-delà de la preuve du port...
JG
... oui, « au-delà du port et de ses preuves »...
SB
Il y a autre chose que je trouve important dans ta poésie, c’est la question du rythme et de la cadence. Tu l’évoques plusieurs fois ; tu fais même advenir la cadence, le rythme avant la parole, avant la syllabe. Le rythme c’est le temps. Il y a là quelque chose que je trouve intéressant. Je t’ai entendu lire en public et là également il y a quelque chose qui est travaillé au niveau du rythme et de la cadence et l’on retrouve cela également dans les répétitions, certaines assonances, les reformulations qui sont parfois mimétiques, qui font corps avec cette mer.... comment la nommer cette mer ? cette mer-mère.. ; qui te nourrit car dans ce dernier livre, la mer, presque il y a quelque chose d’hypnotique : « ce ballant, ce ballant, ce ballant » où l’on retrouve — langage-tangage — le roulis du poème dans cette mer et cette histoire de cadence qui vient même avant le sens, avant...
JG
Oui. Je suis très sensible à cette dimension du rythme, du tempo, de la cadence et donc de la musique. Bien sûr, je ne la dissocie pas du sens, car signe, son et sens sont liés, mais il y a un tempo primordial...
SB
...voilà, quelque chose qui précéderait...
JG
Oui, c’est de cet ordre-là et on le retrouve lorsque j’ai parlé du « jazz de la vague qui déroule son phrasé » ; mais il n’y a pas que le jazz ; beaucoup de musiques sont présentes.
SB
Dans ce recueil, comme dans d’autres, il y a beaucoup d’allusions à la musique ; on a entendu scherzo, tempo, on y trouve mi bémol, diatonique... il y a beaucoup de termes qu’ont retrouvent et qui sont liés à la musique...
JG
...le saxophone du vieux phare...
SB
Il y a-t-il un croisement, une correspondance avec une autre passion ?
JG
Oui, une correspondance avec le chant, avec la voix. Dès mon plus jeune âge, j’ai toujours été très sensible au chant. Ma mère chantait beaucoup, elle était musicienne, elle dirigeait une chorale, elle jouait de l’orgue. J’ai des souvenirs très anciens avec le chant et la voix ; la poésie orale m’a toujours intéressé. Dans mes essais adolescents c’était l’alexandrin de Hugo qui ronflait. Oui, il y a là une dimension très fondamentale qui est d’emblée toujours présente et que j’essaie d’harmoniser avec les contenus, avec le sens.
SB
Pour continuer sur cette voie, en mélangeant tous les aspects, musique, rythme avec les éléments que sont le vent, le sable, le sel, la mer et leurs interactions, il y a quelque chose qui apparaît souvent aussi dans ces titres : prononcer, garder - vents indivisant - la mer, presque - ici, primordial, il y a un premier rythme qui serait celui de la respiration, tout simplement, celui du battement du cœur et de la respiration : inspiration et expiration et qu’on retrouve par les fonds soulevÉs (un autre de tes titres), par ce mouvement de la mer et par ce côté corporel de la chose, puisque j’ai noté dans la mer, presque, « la bouche de la baie », du port, « les lèvres du littoral » ; on est près de la respiration, de ce qui entre, ce qui sort et qui serait la poésie première et le rythme premier, la première cadence ; il y a même le mot « placenta » ! On est là dans quelque chose où l’on travaille au plus près du langage...
JG
... oui, les origines... ce mot revient souvent. Oui, une sorte de...
SB
... de pulsation
JG
... oui, de pulsation ; une sorte de cri primal ; oui, essayer d’atteindre ces sensations premières de la vie ; le surgissement de la naissance, et même d’avant la naissance, peut-être aussi le moment de la conception — il peut y avoir une mémoire de la conception chez l’individu — oui, je suis très poussé ou attiré par ces manifestations d’une parole première — dont on sait qu’elle est sans doute mythique, qu’elle a, du moins, des dimensions mythiques — mais elle a aussi des dimensions très corporelles, très physiques...
SB
... très charnelles...
JG
... très charnelles...
SB
Je pensais vraiment aux chants chamaniques, aux respirations...
JG
Oui, c’est ça, une espèce de transe ; oui, des dimensions de cet ordre qui nous traversent, sans mysticisme ni ésotérisme, mais avec l’immédiateté de ce rythme premier, de cette parole première.
SB
Je pense qu’il serait intéressant d’entendre encore quelques strophes, notamment celles où apparaissent les oiseaux, les...
JG
Tu vas les lire...
SB
Allez, on va essayer...
Montpellier, ce 17 juillet 2011
Ces Fonds soulevés sont une invite, impressionnante injonction. Cette « puissance salée » nous la contemplons depuis toujours, dans cet élan vital qui nous aide, j’espère, à résister. Mer dangereuse, porteuse d’inconnu. L’imprégnation musicale se mêle de façon charnelle à cette rumeur (Léo Ferré ne renierait pas cette musique du silence entrecoupée de colères justes, parfois inquiétantes).
Et le désir (tous les désirs) qui court en risée et pulsation. Gloire à cette mer qui précède le temps. Je ne t’apprends rien en disant que la musicalité du texte répond à celle de la nature confrontée. Sans mièvrerie, cela va de soi, comme en attestent quelques scènes saisissantes, telle l’irruption sur la plage par un mulet mort (je pense à un choc identique dans le Tambour).
Mais comme toujours, je suis touché par l’entre-deux, l’interrogation, l’inquiétude : pourquoi ces « cordages qui n’amarrent pas » ? À quoi bon savoir. Aragon n’a-t-il point célébré « le beau soir où l’univers se brise » ? La menace remue et fige l’homme, lequel jamais ne saura, mais agit — comme le poète — magicien capable « d’aimanter la mer » ou du moins le vouloir. Ici le sable qui caresse, le sable qui enfouit. Contradiction fertile de l’oxymore grenu de sève « calme sonore ». Parfois hisser grand-voile, savoir aussi respecter le clapotis.
Gaston Marty
17/05/2010
Par email, le 4 décembre 2007de Jacques Camatte
Cher Jacques,
J'ai toujours aimé la poésie parce qu'elle me disait quelque chose d'essentiel, un quelque chose que je comprenais limpidement à travers les mots, la mélodie, les suggestions, les intuitions. Mais la poésie plus récente m'émeut, mais ne me dit plus rien. J'ai comme l'impression que le poète me dit écoute, et ressens totalement ce qui de moi provient et, d'une certaine façon, je me sens dépossédé, altérisé et ce qui est dit n'est plus quelque chose qui retentit en moi, me fait percevoir l'autre, et me conduit à moi.
En lisant Prononcer, Garder, j'ai perçu un dire indicible; ce qui affleure mais ne s'épanouit pas, comme un tressaillement annonciateur de quelque chose de merveilleux. Cela m'évoque la nostalgie. Elle est non dite mais est vécue à travers les poèmes.
Prononcer pour moi est un dire solennel, le dire d'une essentialité, voire de quelque chose d'irrévocable. Prononcer implique une grande concentration sur le contenu de l'énoncé, sur la personne (ou les personnes) qui va réceptionner le prononcé.
oui prononcé puis pour elle à jamais gardé
Je me demande : est-ce celui qui prononce qui garde, ou est-ce celle qui reçoit le prononcé. D'après l'énoncé il semblerait que ce soit la première dynamique, toutefois à travers les divers poèmes, je me demande si la seconde ne s'impose pas également. Alors, là, cela me gêne parce que c'est comme une projection qui provoque un attachement en moi. Je dois conserver, garder, quelque chose. Or ce qui m'importe c'est de percevoir le retentissement en moi de ce qui est prononcé et d'avoir la possibilité de le transmettre. Je n'ai pas envie d'être attaché. J'aime ce retentissement qui peut m'affecter en m'amenant à connaître, à percevoir, à m'ouvrir à l'altérité.
M'interpelle: le combat entre les mots du temps et les mots de l'amour
et je me dis quel est le combat réel en lui, entre ce qui peut relever de la continuité et de l'éternité et la restriction, la limitation du temps. Et je pense à
pour que tu la rejoignes à bord de l'esquif esseulant du passage du temps
M'interpelle aussi:
c'est sa voix qui révulse les regards le port alors n'a plus d'ennemis
Quel rapport avec le combat dont il a été question précédemment? Te sentirais-tu arrivé au port où tu n'as plus d'ennemis?
Tu dis : « Prononcer, garder », … puisque les sèves des syllabes sont sur le point de surgir
Là je retrouve la question de l'indicible. Que recèlent ces sèves qui ne seraient pas dans la salive de mes mots?
Voilà: j'ai essayé de te percevoir à travers ces poèmes et te le dis.
Fraternellement,
Jacques.
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Merci de m'avoir envoyé Prononcer Garder et son grand mouvement, son grand vent de parole, et, je le crois aussi, d'espérance. Nous avons tant besoin de croire à la parole (...) que dure le mugissement !
Gabrielle Althen
13/11/2007
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Avant de pouvoir te remercier pour ton envoi, j'ai tenu à lire et relire Prononcer Garder, beau recueil où la mer, le bord de mer, jouent leur rôle médiateur entre l'homme et le monde. Prononcer, l'écriture, la parole. Garder nous impressionne dans son ambiguïté : rétention, préservation du souvenir et de la présence. Générosité et menace s'entrelacent. L'éternel passager scrute le large immense, hume les parfums mêlés. Dansent les mots, danse la lumière. La conversation se poursuit sans solution... Beau texte, merci encore de me l'avoir fait connaître.
Gaston Marty,
21/11/2007
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Ton livre — ta belle fidélité à un lieu, à la mer — c'est-à-dire à un lieu infini (ce qui est en soi un oxymoron), trouve à chaque instant l'élan semble-t-il sans fin possible pour une parole qui de la mer sait dire -peut dire- les multiples apparitions et les dire, à chaque fois, selon le rythme nécessaire à leur être propre, le même toujours et toujours autre (je ne vais pas dire ‘toujours renouvellé’, ça sentirait trop la citation — mais c'est quand même bien de cela qu'il s'agit — c'est cela que tu fais). Merci de tout mon cœur.
Franc Ducros
20/12/2007
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Difficile de parler de la poésie de Jacques Guigou sans l’avoir entendu dire ses textes, avec cette autre voix qui hache le poème tout en lui rendant sa ligne de chaos, de rupture, de mouvement des origines.
Ainsi Elle là à l’instant des premières paroles dans le livre, ainsi elle qui fait entendre ce phonème fossile de sa langue-mère aq’wa aq’wa aq’wa.
Et, tout au long du chant, la mer avec ses odeurs, l’eau (pluie qui dit l’inceste du sable et de la vague), le mot de nuit (celui qui attend l’offrande d’une voix pour surmener la mer), la célébration de l’instant quand il faut soulever la paroles des algues.
C’est pour le poète le temps de l’arrêt (des arrêts) pour célébrer les heures de la mer. La poésie de Jacques Guigou nous conduit vers un authentique dépouillement de l’écriture.
Jean-Pierre Védrines
SOUFFLES,n°223, mai 2008, p.184-185.
Vents indivisant
Une parole singulière sur Vents indivisant celle du poète Gaston Marty
Point final, immense et noble, de ce recueil de poèmes s'incarne dans le mot de lumière, impérieuse, comblant la main qui la « demande instamment ». Présence du corps et aspiration ardente de celui-ci. De la sorte communiquent le poète ‑ l'être ‑ et le monde dans maints de ses aspects privilégiés. Un échange amoureux tantôt demandeur et possessif tantôt mené d'égal à égal, qui ne saurait faire fi du poète et de l'enfant, deux importances sensuelles, deux réceptacles des sensations, spontanées et attentives, réfléchies et risquant le défi de l'ailleurs, de l'audace.
Car cet univers de Vents indivisant, n'ignore point les affrontements qui fragmentent et confondent les êtres dans un lent mouvoir ou un brusque et violent enlacement « l'instant déverse des accidents / soudain les deux quais ». Se rassemblent, se séparent tour à tour les éléments animés de vies personnelles, telles ces mains attirées vers les unités. Cet incessant affrontement s'infléchit d'une douceur et d'un apparat tout en esquive: « platanes qui concèdent le chant aux partisans du vent ». Domine la caresse, celle des hommes « proches des roseaux ». Toute forme d'amour s'y infiltre.
Et tout mystère souffle une haleine de poésie. Que s'abolisse la « finitude du littoral » sous la pression de l'ailleurs, que circulent les voix « venues avec les hautes eaux », flux et reflux dignes d'un battement. Le fond de la mer lui-même sait s'entrouvrir comme un miracle ; celle-ci est lieu de tragédie. Elle refuse d'avouer la cause de sa couleur nouvelle, changée ; liqueur, sang répandu ? Inquiétude et splendeur, la musique et ses paroles enchantent du même élan la page et le monde, constamment réciproques et intervertis. Car poésie il est ici, qui culmine en fascination autour de l'oiseau marin « Elle / mouette aimantée par sa visée sans cible ni flèche / elle veine ouverte / pour l'instant de ses visions ».
L’homme et son poème ‑ le « poème de la mer » rimbaldien ‑ s'avancent tout ensemble insurgés et assagis. Jusqu'à insuffler la force de l'évidence à ses présentations de vigueur sobre, ramassée, tel ce « rire à satiété de l'enfant » modèle de condensation vive. La proue de cet élan pourrait être ce môle tendu : idiomes « du môle renversé vers ses origines », donc imprégné de passé nourricier, mêlé aussi aux familiarités qui y sont énoncées, belvédère de la saison. Magique présence de l'enfant énonçant son parler « à la fenêtre du phare ». Il est surtout une source et qui porte l'appréhension primordiale jamais effaçable. Possède en commun avec l'eau d'être un lutteur contre la terre.
Ici se fiancent les charmes envoûtants, la mort, la grâce, les possibles assemblés capables de nous convaincre sans bavardage de cette infinie richesse du monde que vantait Octavio Paz. Un univers comblé qui inclut la parole, exhalée et fondatrice puisqu'elle remonte à « avant les vivants », de toute éternité.
Inversant les trop logiques termes du réel, la permanence infinie enchante l'instant, l'instant qui nous saisit. Soyons prévenus, le mot contient tout, ne se sépare de rien. Sans l'expliciter, Jacques Guigou fustige l'emphase qui prétend dominer. Il préfère, en confidence, le « dire des filets délaissés », une fête dont il connaît le prix, générée par l'incommensurable accessible de la vague. L’homme a ses commencements et sa vigoureuse présence.
Gaston Marty
Publié dans SOUFFLES, revue de l’association
Les Écrivains méditerranéens
n°210-211, octobre 2005, p.162-163. ISSN 09857427
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Merci, Jacques Guigou, de nous avoir donné à lire les poèmes de Sables intouchables et de Vents indivisant, deux ensembles, deux univers élémentaires à la fois présents et insaisissables. Sables, dunes, images d’un littoral où la vie commence ; lieu d’attente où une parole s’annonce. On retrouve dans Vents indivisant, comme en écho, la même attente d’une parole qui fête les naissances. Cueillette, récolte, assemblée, union, liaison... tout un vocable de rencontres qui peuplent cette quête incessante pour rapprocher les deux rives, celle de la parole et celle du silence. Quête de la poésie elle-même entre « le feu et l’eau ».
Georges Drano
12/04/2005
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Merci pour ton livre. Rythme qui monte à la lecture comme vague à l’écume.
Delphine Aguilera
10/12/2004
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Belle surprise avant-hier dans ma boite à lettre ! Merci pour Vents indivisant, pour « ce doute » et « cette liaison avec les langues intimes ». Franc se joint à moi pour dire qu’il trouve magnifique l’inspiration prolongée de la mer et des vents côtiers.
Gisèle Pierra
27/11/2004
Un mot d’une simplicité extrême : je vous remercie.
Kostas Axelos
15/01/2002
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Merci, Jacques, pour l’envoi de ton dernier livre, Ici primordial. J’aime bien, d’un livre à l’autre, cette mer qui ne te lâche pas ; ma foi, c’est ta « Sainte Victoire ». Elle est là avec tous ses crampons, elle les jette sur toi, tu es à l’épreuve de sa cruauté, de sa vérité, et c’est ta vérité...
Jacques Dartigue
29/01/2002
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Un grand merci pour ton envoi ; pour toi, qui découvre ‘l’axe du monde’ dans « les dictions du vent » (comme Mandelstam découvrait ‘l’axe de la terre’ dans les guêpes, « fortes et savantes »).
Franc Ducros
12/02/2001
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Comme tes précédents textes, notamment Une aube sous les doigts que j’avais adoré, j’ai trouvé Ici Primordial d’une très grande profondeur et d’une immense sensibilité. Ce lien entre la terre et la mer m’y semble perçu avec une puissance troublante. Ce lieu spécifique où nous vivons et que nous vivons est magnifiquement rendu. Mon entourage qui l’a lu le pense aussi. Merci pour les émotions ainsi procurées et pour le plaisir de ce don des mots.
Jacques Gleyse
10/01/2002
Sables intouchables
Montpellier, le 2 avril 1999
Cher Jacques,
Merci de ton envoi. Et surtout merci de ce rapport, sans cesse renouvelé, aux éléments proches et inatteignables (« intouchables ») — les sables, certes, et l’eau, et l’air et la lumière, et tout ce qu’ils portent, dont nous, puisqu’ils sont notre séjour : tu y habites, et tu nous en restitues la présence, puisque tu nous y fais habiter.
Franc Ducros
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Après que vous m’ayez aimablement donné vos deux recueils, je me suis absenté longuement et je ne pense pas vous avoir remercié. J’ai ça et là rencontré les images tutélaires de nos rivages, les tamaris, les sables, la mer, ce paysage profané que seuls les poètes peuvent restaurer.
Frédéric-Jacques Temple
17/11/2000
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Merci pour ces Sables intouchables. Beau titre pour une avancée sur la grève, comme est votre écriture.
Yves Bonnefoy
7/04/1999
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Merci de votre livre. Il m’a beaucoup touché. Je crois que vous atteignez désormais une profondeur servie par une forte langue. (...) Votre voie est ouverte. Vous avez dû recevoir des consécrations amicales. La mienne vous suit.
Jean Todrani
19/07/1999
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Je lis « A l’impossible tous sont tenus/ Oui, tenus/ Mais tenus d’une main qui délie/ Tenus sans autre lien/ Que celui unissant/ Ce nuage de sable/ Au vent de Narbonne/ Qui argente la grève ». C’est avec cette sorte de main que nous rêvons d’écrire, une main : une pelure, qui nous dirige dans nos rêves, sorte d’ouïe très fine qui relaie nos perceptions, notre sensation selon des rapports entre les choses que l’expérience du poème, seule, découvre. Ils sont, ces rapports, la vie de tout langage, de toute pensée au plus profond de ce qu’ils peuvent nous apprendre : sur nous, sur les choses et le monde ; ils ne délivrent aucun savoir, ils sont de simples traces, des signes sur le sable quand la mer se retire.
Jacques Dartigue
3/05/1999
Cher Monsieur Guigou, je vous remercie beaucoup de m'avoir envoyé votre "Temps Titré". J'en fais la lecture selon vos préceptes, me semble-t-il, c'est-à-dire comme injonctions ou préceptes à méditer un à un. C'est pourquoi j'ai beaucoup tardé à vous écrire, cherchant par instants variables ce qui pouvait m'éclairer sur tel ou tel point. Vos énoncés sont des injonctions, des conseils, pas des spectacles. Vous renouez, sans oblitérer le temps, avec la sobre façon (en Chine comme en Grèce) d'énoncer une poésie des causes impromptues. Excusez ces remarques insuffisantes. J'espère d'ailleurs pouvoir lire de nouveaux textes et vous remercie.
Avec mes sentiments cordiaux
Pierre Naville
Paris, 5 mai 1989
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Jacques Guigou, merci de m'avoir fait connaître vos poèmes en m'offrant ces trois recueils. Il y a là une rencontre avec des mots à la fois singulière et forte. Le sens aussi de l'inscription (prise de date du drame)... J'espère avoir, de mon côté, offert à ces poèmes l'attention soutenue qu'ils réclament. Ils offrent le réel survolté et révolté. Oui, merci.
Robert Sabatier Paris 29.01.1985
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La lectrice de "Temps Titré" a été plus particulièrement sensible aux quatre premières lignes, et aussi à : "Le temps déshabille mes habitudes" (p.10) "Mon regard aiguise" (p.12) "Reins..." (p.15) "Nuit ! Ô nuit tenace" (p.18) "Silencieux élans" (p.24) à la page 30, etc. Mais pourquoi ces grandes majuscules ? Elles me semblent parfois compromettre la sensualité de certains passages. Je ne saurais mieux l'expliquer et sans doute ai-je tort de penser cela. J'espère que vous m'en voudrez pas d'avoir ainsi osé "mot-dire".
Nicole Bajulaz-Fessler
revue Texte en main Grenoble, le 9/11/1990
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Cher Jacques Guigou, j'ai reçu "Temps Titré" et j'aurais dû vous mettre un mot tout de suite pour vous remercier. C'est peut-être parce que je ne suis pas rentré d'emblée dans votre livre que j'ai tardé à écrire ce mot ! En fait, il y a des tas de choses qui m'y plaisent, images ou mélanges intempestifs : "Le désêtre a passé son trenchcoat"... Mais d'autres fois je n'aime pas du tout :"L'ordalie matrimoniale s'égoutte...". Bref, j'avance dans votre livre un peu bousculé par ce que j'y trouve : une grande énergie d'écriture mais quelque fois, me semble-t-il, un peu théâtrale (à mon goût). Et, par exemple, l'impression en grandes capitales s'impose trop, je trouve, empêche de lire.
James Sacré Paris le 20 janvier 1989
(...) C'est une suite de poésie ambitieuse, très martellée, très forte dans son expression et nous aimons bien ces formulations à la fois sonnantes et précises.
Claude Frochaux Lausanne, le 8 août 1988 éditions l'Age d'homme
CE MONDE AU NID
Paris, le 26 juin 1986 Cher Jacques Merci pour Ce monde au nid bien niché entre deux fois douze autres textes qui, par cette journée de chaleur enfantine, m'a rappelé un goût oublié : celui naturellement, du bonheur, de l'institution absente.
René Lourau
Grenoble, ce 28 juin 1986 Bien cher Monsieur et Ami Merci de ce nouveau recueil et de sa dédicace. Il y aurait beaucoup à dire sur vos poèmes. J'ai retenu "Conium Maculatum" dans lequel j'ai apprécié : "en cas d'urgence ou d'accident grave, transporter directement la victime chez l'éditeur de garde" et aussi "À feu l'Europe attablée" pour leur humour ; et "Moment d'hymne orphique" pour ce goût du bonheur. Retenu aussi "Avis d'échéance", "Jamais ce titre" et surtout "Dire au livre, malgré tout". J'admire cette source de vie jaillissante, cette joie de vivre, d'exister dans toutes les dimensions de l'être. Vous ne devez pas perdre un instant de cette vie, vous la brûlez à fond. C'est bien. Une bonne leçon d'existence pour les tièdes qui aveuglent le soleil par leurs peurs ou leur paresse quotidienne. Bien à vous.
Anne-Marie Petit
"Ne nous concerne pas. Nous vous le retournons. C'est très agréable à lire. Le style rappelle celui de Saint Just."
Regain Bottier Homme et Dame 28 rue de Douai 75009 Paris
{La poste a distribué ce livre par erreur au bottier "Regain" de Paris alors qu'il été adressé à la revue Regain à Paris !}
Castelnaudary le 18 février 1981 Bonjour Jacques Guigou J'ai bien reçu "L'infusé radical". Je pense que c'est vous qui me l'avez fait envoyer par notre éditeur commun. Merci. J'ai particulièrement aimé "L'être fuseau/Lettre aficion". J'ai été sensible à ce mélange, cette fusion, ce composé entre l'acte sexuel, les éléments d'interrogations politiques et l'auto-combat contre vos propres mots.
Gabriel Cousin
Grenoble, le 15 juillet 1981 Cher Monsieur, J'ai bien reçu "L'infusé radical" et vous en remercie. Mon retard à vous répondre n'a pour cause que deux séjours successifs au CHRU (accidents de voiture avec complications) qui m'ont tenu éloigné de toute activité pendant sept mois. Mais je ne vous oublie pas et je vous consacrerai, dans ma prochaine critique "Les poètes" (in, Le Dauphiné libéré) les lignes élogieuses que méritent vos poèmes. L'authenticité se remarque, par exemple, dans : "la houle profonde de ta voix me submerge, voluptueusement, je respire tes mots bleuis par le bouillonnement d'une chute infinie, errances impassibles... Votre première plaquette retient aussitôt l'attention. Vous nous promettez une terre fertile, Jacques Guigou. Peut-être deviendrez-vous un guide exaltant à la découverte de cette condition poétique admirablement définie, il y a vingt ans, par René Ménard".
Christian Gali
Rodez le 29 août 1980 Cher Monsieur, Jean Subervie me charge de vous remercier de votre envoi du 9 août. (...) On ne peut demeurer insensible à ces cris du cœur qui traduisent l'angoisse métaphysique de l'être qui s'interroge avec, en faible contre-poids, un humour jouant de loin en loin avec le mot. Le lyrisme ne manque pas de générosité, jusque dans les belles envolées sensuelles. Mais tout cela n'est-il pas encombré d'expression très recherchées (trop) qui enlèvent de sa force à votre poésie et la complique bien artificiellement ?
Paul Astruc pour la rédaction de la revue Entretiens
DITS Sur l’ENSEMBLE
DE LA POÉSIE
DE JACQUES GUIGOU
Sur
Poésie complète
1980-2020
Marc Wetzel
"D'abord ces sables piétinés puis la mer la mer et sa constellation d'éclats puis les oscillations de ces coquilles qui se font de ces fossiles qui se défont puis l'ancien phare désinvolte autant que serein soudain sur le quai le coup de patte de ce qui n'apparaît pas" (p. 634)
Il n'y a ni insinuation, ni ironie, ni même métaphores dans la poésie de Jacques Guigou, parce qu'elle se veut passionnément fidèle au monde (au monde des éléments, des reliefs, des cycles), et que le monde, lui, advient et se répète, forme et déforme ce qu'il est, se fracture, se soulève, s'écoule et s'érode, sans jamais suggérer, railler ni même comparer. Le poète imite cette sobriété dynamique et nourrie à elle-même.
"Ils disent inspiration alors que simple abonde sa présence ils disent métaphore mais un seul mot pris sur l'envers de cette mer aujourd'hui si féconde suffit à faire l'unité du monde" (p.433)
Le poète camarguais suit à la trace le devenir local des choses; il s'immerge franchement dans ce qui survient, il partage toujours volontiers les tensions de ce qui l'accueille, il aime et admire le réel tel qu'il sait et doit se produire lui-même, école globale de présence dont ce réel est à la fois l'unique maître et élève. Monde qui ne fait que les miracles utiles dont il est capable, et pour ceux dont l'attention se fait digne de lui.
"Voici l'avènement estival de l'autre voix celle qui voile le monde puis le fait devenir vrai voici les prémices espérées de la saison qui prie voici venue la dispute avec les verbes qui divisent" (p.496)
La mer lui est origine chantante, d'une rare continuité d'action (on dirait une chef de choeur accouchant de son rejeton, presque restée debout à son pupitre, sans guère interrompre sa fabrique d'échos et de reflets). Naître, c'est être précédé par une parole d'expulsion ("Poussez !"), et un rythme d'advenue ("On y est presque"), que tout poème authentique paraît repsalmodier. Clameurs, contractions, contorsions, oui; oeillades, manigances, guillemets, non. Avancer toujours condamne à indéfiniment approcher, mais autorise à ne jamais quitter l'approche.
"Marcher avec la compagnie non du recommencement mais de l'origine unique de cette mer reconnue comme celle-là même" (p. 294)
"Attiré par les jeunes rameaux du tamaris qui se souviennent de leur violet il attend ce regard de la mer celui d'avant la sortie des eaux ce regard de la mer qui unifie le garçon au tamaris avec l'instant de sa mise au monde" (p.495)
Énigmatique matière capable de faire quelque chose d'elle-même, globalement (la vie du Tout) ou localement (le tout de chaque vivant), auto-démiurgie que notre poète qualifie fortement de "lagunaire" (et donc complète, car le bassin côtier, la mer, et le cordon littoral qui les sépare font à eux trois, - états d'une même matière - la lagune) et de "syllabaire" ( et donc instructrice et instituante, car comme on décompose les mots pour apprendre à les lire, l'évolution cosmique recompose les êtres pour savoir les écrire) :
"Elle est toujours là cette matière lagunaire celle qui ne connait pas la pensée verticale son fond est éphémère il laisse soupçonner les parlers de la pêche à l'épervier elle est toujours là cette matière syllabaire celle qui charge de possibles chaque aiguille de pin" (p.515)
Le monde est Tout, et le Tout est par principe délié, "inamarré" : son ici suffisant est sa pérenne et ubiquitaire capacité de se tourner ailleurs. Le poète est l'hôte et l'aède de cette interdépendance autonome qu'est le monde : il dit tout haut ce que l'évolution se chante tout bas, "élève d'un chant qui ne s'apprend pas" (p.485). C'est que ce monde naturel (contrairement à l'historique) sait se servir de lui-même, réhabiliter ses pertes, recycler son auto-désolation même : son insistance créatrice se passe même de toute résilience.
"Sous les six tuiles soulevées du toit des êtres autonomes j'aperçois de la perte sous les six uniformes d'exercice des cyclistes fiers de leur discipline j'entrevois de la perte sur les six visages lissés d'artifices sortes de hères séparés de leur matrice je devine de la perte pourtant sur ces six dunes rendues vierges par la Tramontane d'hier j'augure d'autres engendrements" (p.444)
"la mer indocile désigne la cause certaine des pertes la mer enfin remerciée" (p.448)
Il y a, dans cette poésie de toute une vie, une sorte d'optimisme cosmique (ce réel est suffisamment inépuisable pour dissuader toute vie provenant de lui de le quitter tout à fait déçue), de gratitude par provision (si cet Univers produit déjà si bénévolement des êtres vils et anodins comme nous, comment le remercier assez de féconder tout aussi volontiers ce qui nous dépasse ?), et surtout de calvinisme lyrique (cette liberté que l'Absolu nous laisse par rapport à lui, comment la mériter sans illusions, ou la racheter sans mensonges ? ), tous éléments qu'on voit s'unir en une strophe merveilleuse, qui célèbre une existence toujours assez riche pour se voir échouer sur rivage inconnu :
"Au sortir de sa plongée le blanc du goéland échappe à l'ordre des choses Égarée par sa longue veille la veuve du pêcheur échappe à l'ordre des choses Sur le point de se défaire la brume sur le port échappe à l'ordre des choses Son bateau désarmé le vide du ponton échappe à l'ordre des choses Privé de son bosquet le pin du Boucanet échappe à l'ordre des choses" (p.571)
Notre poète, par ailleurs universitaire (sociologue politique, théoricien de l'art et penseur de la psychanalyse) est devenu et resté, avant tout et devant tous, poète (devin du rivage !) par un sentiment métaphysique plus ancien que toutes ses indignations, militances et même ardeurs, et qui est une évidence comme : il n'y a pas de stérilité héréditaire, il n'y a pas de néant orphelin, et notre lucidité donne des yeux à l'ombre même. "Vois/ce que les yeux d'Oedipe durent cesser/de voir", page 285. Depuis la psychanalyse, nous rendant responsables de ce qui nous fait penser, nous sommes des Oedipes conscients de l'être; et le châtiment de nos actes n'est ni la cécité, ni d'ailleurs le voyeurisme spéculaire, mais la lucidité (devoir regarder nos fautes à leur lumière, pouvoir annoter nos erreurs dans leur marge). Ce chant de la liberté impossible à contenir comme à mériter justifie tout l'effort d'une vie.
"Tôt venu le devin du rivage endure le vide laissé par la dune qui a disparu sans cligner les yeux il déplore le plein qui s'est défait maintenant pieds nus dans le sable le devin du rivage s'avance vers ce qui n'a pas été dit plus tard parvenu au delta il sera possédé par ce qu'il ne parvient pas à quitter" (p.650)
Son ami Franc Ducros, poète et essayiste, confie excellemment à l'auteur, à propos du dessein de ce livre-vie, ceci : "Tu auras peu à peu, de façon de plus en plus caractérisée, trouvé avec la mer et son rivage, une ouverture qu'on peut dire infinie — infini des multiples événements ne cessant d'advenir dans les multiples aspects de la terre et de l'eau, infini des aspects de l'amour, infini des multiples rapports entre les activités humaines et l'activité elle-même multiple de la terre, de l'eau, de la nuit, de la succession des jours…". Et toute saisie de l'infini est espérance, puisqu'elle dépend logiquement, non de nous, mais de celui-ci :
"Un jour viendra
sur ce rivage un jour viendra porteur de ce qui n'a jamais commencé jour de joie dépouillé des dominations de la nuit
sur ce rivage seuil et sable messagers
un jour viendra"
Marc Wetzel août 2021
Commentaires publiés dans la revue Traversées
en septembre 2021 : ici
Franc Ducros
Nous avons presque ensemble, toi et moi, publié nos poésies complètes, moi sur un mode occulté par le titre, toi de la façon la plus franche et délibérée — en mettant, en plus, le titre au singulier !
Ce qui m’enchante chez toi, c’est que ton œuvre n’aura pas cessé de s’ouvrir au fil des années et de livre en livre — je veux dire que, parti d’une poésie dont le fond politique lui donnait un caractère discursif, voire argumentatif de par l’âpreté de sa rhétorique, tu auras peu à peu, de façon de plus en plus caractérisée, trouvé avec la mer et son rivage, une ouverture qu’on peut dire infinie — infini des multiples événements ne cessant d’advenir dans les multiples aspects de la terre et de l’eau, infini des aspects de l’amour, infini des multiples rapports entre les activités humaines et l’activité elle-même multiple de la terre, de l’eau, de la nuit, de la succession des jours… Et ce qui est très fort, c’est que tu n’as plus besoin de la rhétorique du poème long (nécessairement discursif) mais que tu fais ton bien de tout ce que peut tour à tour évoquer (voire susciter) chaque poème bref qui ne cesse, dans un même livre et de livre en livre, de se multiplier. Le poème bref ouvre à chaque fois sur l’infini de la chose très précise qu’il dit — aussi bien le rapport minuscule (« deux algues sœurs / suffisent / à célébrer l’instant ») que l’ampleur des espaces lointains (« Du plus inconnu de la mer / il survient / ce courant qui contrarie / les eaux hébétées du Vidourle »). Merci, mon cher Jacques. J’espère que tu vas bien et que nous nous verrons bientôt. Franc
Stephen Bertand
Cher jacques, un grand merci pour cette...somme !
De quoi s'allonger et se laisser aller au lent respir du sel,
et aux lèvres des pages nous l'écouterons
gercer novembre et la parole
puis moudre la lumière.
Aux sables des peaux
cet élan vital et millénaire
dont tu essaies aussi de dire
les aubes perpétuelles.
Jean-Paul Gavard-Perret
Les poèmes de Jacques Guigou sont une manière humaine de faire face au réel. Au fil du temps, l'auteur a créé un grand geste poétique pour nous détourner de tout ce qui serait funeste.
Il est fait pour chanter l'existence tout en faisant l'amour aux mots, parfois en une sorte de frénésie et toute une gamme de moments volubiles même dans les cloaques de l'existence qui retrouvent un éclat de splendeur.
Émerge une augmentation du possible "dépouillé des dimensions de la nuit". La poésie en devient musique. Elle participe à une prise de possession de ce qui alimente la vie et ce, par les magies des paysages et un souffle intérieur.
Celui-ci anime ce qui est afin qu'un vent vivifiant serpente à l'orée des nuits. Lesquelles gardent leurs croupes éclaboussées de luminosité.
Guigou refaçonne moins le visage du monde et de l'existence qu'il ne lui redonne en sens. Pas question pour autant de "prêcher". Chaque poème danse autour d'un secret central. Il dépasse le "moi" dans la part irréductible du langage qui seule donne la poésie.
Elle se développe ici sur une période de 40 ans sans jamais tomber dans le déjà lu ou la faiblesse des effets.
Existe le ressort d'un "ravissement" longuement médité pour une "héliotropie" de l'existence.
Commentaire publié dans Le littéraire.com
Patrick Chavardès
Bonjour, Jacques,
Merci pour ce beau livre, cette somme considérable et sobre de présentation.
Premier ressenti : ça crépite sans cesse comme des feux de toutes part. On dirait que l'âme impatiente veut réveiller le corps à moins que ce ne soit le corps qui s'impatiente et que le désir veille aux armes obstinément dans l'attente d'une aube, d'un recommencement, qui sait, d'un oubli.
Chantal Enocq
Bonjour Jacques, comme on ne peut se voir en ces temps, je viens te remercier pour m'avoir offert ton impressionnant recueil de poèmes...que je n'ai pas encore entièrement lu, bien entendu, mais j'ai pris le temps de glaner à travers les pages et voilà, je viens t'offrir un texte que j'ai écrit en traversant ton livre (tu y reconnaîtras peut-être quelques petits fragments de tes poèmes).
Un mot : la poésie...
des mots : des centaines, des milliers, des millions de mots parlés, écris puis la récolte de quarante années ... ‘’Poésie complète’’.
Un désir d’écrire infusé dans le corps ; ça a jouit, fusé, fusionné : une infusion de mots à déguster pour un soir d’automne.
Ici les mots ne sont jamais asservis ils se délient, s’érotisent, s’entrechoquent pour une insolite rencontre.
Un combat : une entrée dans l’arène du monde et là déloger les non-dits, déroger l’interdit, voter pour un amour éligible et trouver un nouveau regard pour aller vers...
Vers le sud ou s’invitent les ajoncs, la fige, les châtaignes, le chêne... Une farandole de lumières, d’odeurs, de mémoires...Elle est là...la mer, la mère, la femme, la sœur, la muse. Le poète nous fait naviguer à travers le temps, l’espace. Nous voyons le monde à travers sa fenêtre, là où le verbe parle : une vision moins l’image. Nous sommes dans le chant primordial et nous t’écoutons.
Elle entre, nous oriente intimement vers un voyage sans fin, sa voix caresse notre peau, un chant que les enfants reconnaissent au creux du coquillage.
Elle : te dit la présence du monde, te donne sa mémoire de mer, te guérit des blessures de l’oubli et les mots se mettent en chœur.
Elle avec ses mots irrévocables et son désir de mer, elle connait les couleurs inoubliées et lance son appel pour une vie frémissante - un combat entre les mots du temps et les mots de l’amour.
Les rythmes de la mer seront harmonisés avec la marche de l’enfant pour créer d’incorrectes conjugaisons et le vent avec eux cherche une nouvelle composition.
Entre le pin et le romarin, entre la mer et les marais, un appel aux grands jours à venir avec ta voix qui dit un jour viendra...
Julien Blaine
712 pages
je vais me régaler
page par page
un vrai grand merci
Julien
réponse de JG
Et bien régale-toi, Julien et parle-moi de ta régalade...
réponse de Julien Blaine
indeed !
cher Jacques, 40 ans après et 712 pages refermées !
je ne suis pas un grand critique ni moyen ni petit mais je retiens :
Exaucée par la mer la croix du Sud fille des écritures accepte le défi de la saison des froids
Lorsqu’elle donne de la voix ce n’est pas dans la langue des sages son chant pourtant disperse la pensée des vivants son chant que les enfants savent reconnaitre à l’oreille dans les coquillages
je manque le tempo de la déconcrétion
et cette page 118
illimité de l’arbre-abri j’approche de plain-pied […] de l’arbre-sans-prénom je suis le vagabond
Georges Amar
Fécamp, le 26/12/2022
Cher Jacques,
Je veux d’abord vous remercier vivement de l’envoi de vos Poésies Complètes.
Quel beau cadeau de Noël vous me faites !
J’avais commencé à essayer de répondre à votre longue lettre, mais l’arrivée de
votre Poésie m’a suspendu. Comment parler, « causer », de poésie et poétique, en
présence de cet impressionnant volume, de ce bloc de poésie en chair et en os si je
puis dire, en vers et en vie. Il me fallait le lire avant toute chose. Mais lire 40
années de poèmes ? Je n’ai d’ailleurs jamais lu autant de poèmes (presque) d’un
seul coup. L’absence de tout prolégomène, de toute préface, postface ou 4ème de
couverture, et même d’une table des matières, demandait de simplement plonger.
De tout lire. Et qu’est-ce que lire ? Lire « tout » ? Alors qu’un seul poème est
inépuisable.
J’ai donc lu assez vite ; donc très mal selon mes propres principes (et mon souffle
habituel de lent lecteur). Et ce fut une expérience singulière, jamais encore faite. Je
me suis spontanément aidé d’un procédé curieux : commencer par le 1er chapitre,
« 1980 ⎼ L’infusé radical », puis aller au dernier, « 2019-2020 ⎼ Strophes en
cours », puis revenir au 2ème, « 1981 ⎼ Actives Azeroles », puis l’avant-dernier, et
ainsi de suite. Cela m’a fait converger vers le milieu, ou peut-être les 2/3 du livre.
Il me semble d’ailleurs que c’est dans cette « région », entre 1995 et 1997 (« Elle
entre » et « Son chant ») que se produit un pivotement. « Elle » change de visage
(C’est un pronom qu’aimait aussi Victor Segalen). Une grande partie, la plus
grande partie des poèmes sont « pour Elle ». Elle, une femme, la femme. Et en ce
sens toute votre poésie est d’amour. Or, Elle devient aussi (elle l’était déjà, l’est de
plus en plus) la Mer, la Lumière, la Poésie. Et d’autres encore. La Révolution ? Je
hasarde ça peut-être pour avoir lu votre essai « Poétiques révolutionnaires et
poésie », qui m’a fait vous rencontrer.
Je ne puis m’empêcher, devant ce splendide objet si physique, corporel, et si blanc
à beaucoup d’égards, qu’est votre livre, de m’interroger sur sa nature. Une
autobiographie poétique ? Une entreprise, de… quoi ? Un devenir-poète ? Un
devenir Rivage (c’est la figure dans laquelle Elle semble se transmuter) ? Je crois
entendre dans le titre du livre à la fois l’écho et la négation du plus usuel « Œuvre
complète ». Comme si cette « Poésie complète » était la moitié d’un tout, qu’à la
fois elle divise, et complète. L’autre moitié (l’une des autres moitiés) est-elle
politique, ce mot qui rime trop bien avec le poétique que vous n’aimez guère ?
Polis alors, qui irait mieux avec vos engagements professionnels ?
J’espère que vous ne m’en voudrez pas d’avoir en cours de lecture souligné (des
yeux seulement) un mot. Un mot, un verbe avec ses participes passés et présents
ou ses formes substantives, qui revient extrêmement souvent dans vos poèmes. Ou
bien est-ce seulement moi qui en ai exagéré la fréquence perçue. C’est le verbe
révulser. C’est un drôle de verbe, dont je ne suis pas sûr de saisir le tout sens. Bien
qu’il soit sans rapport étymologique, j’y ai entendu comme un écho du verbe
révolter ; mais il a quelque chose de plus viscéral.
Un autre trait langagier m’a attiré ou intrigué, sans que j’aie cherché à en
comprendre la possible signification : votre usage fréquent et souvent inattendu (à
l’appui de néologismes par exemple) du préfixe in. Comme dans irregardé ; ou
s’insoumettent, ; ou insevré. Il y en a beaucoup d’autres, un de mes préférés est
« Vents indivisant » (c’est le titre d’un chapitre, 2004).
Encore une fois j’espère que mes minuscules remarques, peut-être oiseuses, ne
vous irritent pas. Les poèmes ne sont pas faits pour être triturés. Ces quelques
notations sont plutôt des miroitements, qui parlent sans doute d’abord de mon
propre œil, et de la lumière ou du contre-jour dans lesquels je vous lis. Je vous les
livre en guise de témoignage et surtout pas de regard savant dont je suis bien
incapable. Témoignage de quoi ? Je ne suis pas du tout sûr d’être un bon lecteur…
Seulement le salut d’un ami en poésie. Votre entreprise poétique est vraiment
substantielle. La femme, la mer, la lumière, la poésie, le rivage. La ville, la Polis,
l’amitié, le combat… Le temps… Le poète nous dit et nous donne tout cela.
Alphabet de notre vécu, de notre à-vivre. Donné, à-lire, en vagues de vers,
giboyeuses comme celles de la mer (que j’entends bien vivantes ce matin enfin
lumineux depuis mon grenier sur le rivage de galets de Fécamp).
Amitiés, et bonne année 2023 !
Georges
Réponse de Jacques Guigou
Montpellier, le 28/12/22
Cher Georges,
Pourquoi m’irriterais-je en lisant votre clairvoyante « expérience » de lecteur de Poésie complète 1980-2020 ? C’est bien au contraire l’enthousiasme qui me traverse et qui me pousse à dire merci à « l’ami en poésie ».
Vous êtes sans aucun doute le seul à m’avoir lu en procédant par des allers-retours du début à la fin pour parvenir au centre. Et cela vous a permis de percevoir avec justesse ce que vous nommez « un pivotement » qui opère autant sur la forme que sur le contenu. Vous situez ce moment charnière entre 95 et 97. Je le situe plus volontiers au début des années 90 (après Blanches et Une aube sous les doigts). Il m’arrive de nommer le cycle qui s’est alors ouvert comme « mon cycle de la mer ». Mon installation à Montpellier au début des années 90, n’ y est sans doute pas étrangère.
C’est aussi le moment où, peu à peu, une forme s’impose à moi ; forme que je vais nommer : des strophes.
Mon écriture de poésie abandonne la discursivité, la narrativité. La scansion, l’anaphore, la psalmodie, la vocalisation deviennent prépondérantes. C’est aussi le moment où je commence à donner des lectures et des récitals. J’apprends beaucoup des musiciens sur le rythme, le silence, la voix (notamment avec Christian Zagaria et Delphine Aguilera).
J’ai bien aimé votre remarque sur la fréquence du préfixe in. Les mots le contenant se présentent à moi comme chargés d’une tension singulière ; d’une double polarisation qui n’est pas dualité, mais union des contraires…ceci hors dialectique, comme par exemple Sables intouchables.
J’accepte avec plaisir toutes les hypothèses que vous formulez sur la nature éditoriale de ce livre.
J’avais le projet de rassembler tous mes recueils depuis plusieurs années et c’est le confinement qui a provoqué mon petit forfait ! L’expérience ne fut en rien désagréable au contraire, même si en composant certains poèmes (peu) de mes premiers recueils, des formulations, des mots, des affirmations, des déclarations m’ont fait parfois grincer des dents…
Je n’ai pas hésité à titrer ce livre ; ce fut pour moi une évidence puisqu’il contenait tous mes écrits publiés de poésie. Lui donner un titre particulier risquait d’altérer le sens de l’ouvrage.
« Poésie complète » n’est pas à mes yeux une partie d’un tout à venir tel que « Œuvres complètes ». J’ai toujours séparé mes écrits de poésie et mes écrits scientifiques et politiques. Je n’imagine pas leur rassemblement en plusieurs livres sous un même titre. Le projet (lointain) de publier mes écrits politiques et sociologiques en un ou plusieurs volumes me traverse parfois, mais indépendamment de ma poésie.
Merci encore cher Georges, pour votre retour chaleureux et perspicace.
Que l’an 2023 soit accomplissant pour vous.
Meilleures amitiés,
Jacques
Michel Capmal
Je connaissais, un peu, le théoricien de la revue Temps critiques, mais, je l’avoue, je découvre le poète Jacques Guigou. Pour lui, la poésie est une parole. Parole venue d’un langage sacré, oublié, démantelé, refoulé ? Et/ou parole préfigurant un langage à hauteur d’homme mais possible seulement dans une civilisation construite par une communauté humaine enfin libérée de ses propres ténèbres ? Parole disant présentement le réel à distance de la pensée séparée, et malgré l’aggravation d’une sensibilité mutilée ?
Mais si, en quelque sorte, on met en perspective les titres de l’ensemble de ses recueils - (dans le désordre) - : « Par les fonds soulevés, D’emblée, Avènement d’un rivage, Sables intouchables, Vents indivisant, La mer presque, Une aube sous les doigts, Exhaussé de l’instant, Prononcer, Garder,… » et d’autres encore, avec le tout dernier : « Sans mal littoral », on est invités vers l’approche d’un suspens, pour la saisie d’une attente, la redécouverte d’un état d’être qui pourrait s’appeler la « littoralité ».
La littoralité ?... Espace, bord, dimension autre venue à notre rencontre telle une promesse de dévoilement du réel un instant réunifié. On est au bord du monde. Non pas un « arrière-monde ». Nulle mélancolie. On est sur le point de se rejoindre corps et âme dans l’évidence de l’instant. Un « instant relié ». Le temps que la nuit descende dans une bienfaisante lenteur. « Ce rapt d’éternité ». Avec la persistance du pays d’oc.
Il nous reste encore à lire son livre – « théorique » ? – « Poétiques révolutionnaires et poésie ».
Et celui de sa « poésie complète ».
Michel Capmal
11 mai 2023
Commentaires publiés sur le site
Autres paroles
dites sur ma poésie avant la parution de
Poésie complète 1980-2020
Stephen Bertrand
Á toi, Jacques, à ton poème
qui convoie crépuscule aux étangs,
sait disputer au midi ses sols
et autres recettes solaires.
D'eaux et de sables, ton vers.
Aussi suspendu parfois
que felouque d'un Souffle
et autres flamants flammés
de belles blessures.
A ta page qui sait l'écoute des voiles,
leurs isocèles chaleurs,
leurs prétentions d'équilibre
et de hérons cendrés
sur une patte.
Et puis cette dispersion soudaine
du vent, près de l'oreille…
Tu sais…
Envoi de Stephen Bertand à Jacques Guigou
en dédicace au numéro 10 du tirage de tête
de son livre Ces voies qui nous empruntent
publié par les éditions LA DRAGONNE en février 2006 à Nancy.
de Marc Wetzel
Le Crès, 28.07.11
Je ne connais presque pas Jacques Guigou (on a dû se parler deux fois, presque gênés), mais je connais bien son « rapport au monde », c’est-à-dire la vie concrète des éléments en lui.
Il est poète intensivement et exclusivement : le réel lui est aussi familier que s’il en était le Dieu créateur (lui à qui sa religion du monde permet un athéisme sans négligence) !
C’est quelqu’un de très profond et humble : il est paradoxalement profond de discerner et classer toutes les surfaces et les lignes des choses ; il est d’autant plus humble qu’il est comme le confident officiel de la confiance en elle, de l’imprescriptible assurance que la Nature a.
Il ne vient pourtant pas devant les choses avec l’attirail du poète (les lauriers sur le front, les Muses en laisse), parce qu’il a d’abord la lucidité et le courage de l’esprit critique, et qu’ensuite il sait que l’univers même est fonctionnel, doit avoir un cours prosaïque pour subsister et garder équilibre et qu’il y a pour cela même quelque chose de fonctionnel aussi chez Jacques Guigou, comme s’il était secrétaire de la morphogenèse universelle, lobbyiste même des tendances immémoriales du monde.
Il connaît la nécessité première, son normal aveuglement, la place des choses pour être choses, leurs liens contraints. Il sait que la langue humaine vient, par contraste, fournir ses associations frivoles et il est poète, justement, parce qu’il vient faire retrouver au langage l’implacable enchaînement des choses, mais transfiguré.
Il sait donner à la danse des signes la nécessité du monde. Grâce à lui, en approchant notre oreille de cette « bouche » informe des choses, on saisit (mieux que par concepts et philosophiquement) les conditions vraies (le tarif, le lot) de toute émergence.
Jacques Guigou est comme un notaire (mais oui !) authentifiant le contrat que la nature passe inlassablement avec elle-même, donnant sa langue parfaite à cette façon inarticulée dont la nature se distribue, s’arbitre, se départage elle-même. Il remonte ainsi merveilleusement à la source de toutes les rencontres, comme rédigeant le menu du travail que les choses se doivent.
Il est comme un pendule cherchant infailliblement son milieu, rythmant les infatigables exceptions que sont les événements dans l’ordre des choses, formulant l’étrave exacte de tout accès. Il est comme un poisson dans la houle du sens.
C’est un homme que sa foi jurée au monde coupe sciemment de ses arrières, qui va, le cœur communicablement serré, perdre pied pour nous, explorant le large vrai, par où passent toutes choses.
Merci, Jacques.
Montpellier, le 2 août 2011
Bonjour, Marc, et merci pour ces instants intenses et lumineux qui me saisissent à chaque lecture de ta lettre ; pour cette intelligence profonde et sensible avec laquelle tu perçois mes strophes.
Plus qu’explicitant, je reçois ton commentaire comme élucidant. Mon immersion dans les « éléments », les flux de la nature (avec un petit n) en moi sont certes impliqués dans l’existant, dans ce que tu nommes « l’implacable enchaînement des choses », mais ils le sont aussi à l’égard de ce qui advient, ce qui n’est pas attendu, ce qui n’est pas dans l’ordre des choses, ce qui « émerge ». Dans un cycle précédant d’écrits de poésie, au cours des années quatre-vingts, j’ai titré un livre : « Contre toute attente, le moment combat ».
Que mon obstination à qualifier les émouvantes coïncidences du vent, du sable, du ciel et de la mer avec le cours de la vie des hommes s’apparente à un acte notarié ne me gêne pas, au contraire : ne dit-on pas d’une écriture devant notaire qu’elle est « un acte authentique » ?
À choisir parmi les métamorphoses sous lesquelles tu me symbolises, je préfère toutefois celle du poisson ; certes « poisson dans la houle du sens », mais aussi poisson dans « le scherzo des flots », « dans le jazz de la vague qui déroule son phrasé »...
Et puis, il y a ce « savoir » que plusieurs fois tu m’accordes et qui opère le plus souvent à mon insu : cette certitude rayonnante d’être au monde, à la fois individualité intégrale et communauté humaine partagée. Serait-ce mémoire du chant originel de l’espèce ? Il me plaît de le croire.
Vives amitiés
Jacques
"Jacques, ta poésie est affirmative, anaphorique".
James Sacré, après une lecture donnée
au Koffee Choc, à Montpellier, le 22 mars 2018.
"Par son rythme et sa musique, ta diction, Jacques,
s'approche de la psalmodie"
me dit Jean-Claude Forêt après ma lecture
lors de la soirée Deux poètes et la mer
à la Maison de la poésie Jean Joubert, à Montpellier, le 24 janvier 2019
"Je n'ai pas eu de mal à te traduire, Jacques,
ta poésie sonne occitan"
me dit Jean-Marie Petit
à la rencontre du Mas rouge (Frontignan)
organisée par Nicole et Gorges Drano
le 7 mai 2010
DITS SUR LES TRADUCTIONS
Avenimen d'un ribage
Jean-Luc Pouliquen
dans L'oiseau de feu du Garlaban
4 janvier 2020.
Voici un titre qui convient parfaitement à ce début d'année, à ce moment où nous l'abordons comme une terre nouvelle qui va nous faire oublier la traversée tumultueuse des douze mois que nous laissons derrière nous.
Avec ce livre Jacques Guigou nous ramène à un rivage des origines, le sien, qui n'est pas si éloigné de celui de Paul Ricard que nous avons évoqué il y a peu. Jacques Guigou est en effet originaire de Vauvert dans le Gard, il a été professeur à l'Université de Montpellier et fréquente avec assiduité cette côte de sable, de dunes et d'étangs qui va de la Camargue à l'Hérault. Nous sommes en terre d'Oc porteuse d'une langue qui lui est chère. Aussi a-t-il souhaité que ce recueil déjà paru en français soit ici accompagné d'une traduction en provençal. La démarche n'est pas nouvelle pour lui. Déjà en 2011 ses Strophes aux Aresquiers avaient étaient traduites en occitan par Jean-Marie Petit, un poète qui est un familier de ce blog. C'est cette fois Jean-Claude Forest qui s'est chargé du passage d'une langue à l'autre. Nous avions déjà eu l'occasion de mettre en évidence son travail de traduction à propos du dernier recueil de Michel Miniussi dont il avait avec Philippe Gardy assuré la traduction de l'occitan au français. Pendant de nombreuses années les amoureux de la langue d'Oc se sont divisés à propos de la graphie à adopter pour la transcrire. Il y avait d'un côté les tenants de la graphie mistralienne, de l'autre ceux de la graphie occitane classique. Ces choix ont divisé et même écartelé certains poètes qui ne pouvaient se résoudre à adopter une graphie plutôt que l'autre. Ce fut le cas en particulier pour Serge Bec qui opta finalement pour une écriture dans les deux graphies. C'est cette option qu'a choisie Jacques Guigou qui présente une traduction de chaque poème dans les deux formes. En français comme en provençal, c'est une même langue poétique qui nous est offerte, dense et resserrée. Elle glorifie ce rivage qui est pour le poète une source d'inspiration sans cesse renouvelée.
Face aux rafales du vent de sable s'obstine la jeune pousse du tamaris motile elle s'éloigne de sa souche et pourtant ne la quiite pas dans les rafales du vent de sable l'instant dénoue ce que la durée avait lié après les rafales du vent de sable l'innocence du rivage
Fàcia ai ventadas dau vent de sabla s'encanha lo joine brot de la tamarissa motile s'aluencha de sa soca e pasmens la quita pas dins lei ventadas dau vent de sabla l'instant desnosa
çò que la durada aviá ligat
après lei ventadas dau vent de sabla
l'inonnocéncia dau ribatge
Fàci i ventado dóu vènt de sablo
s'encagno
lou jouine brout de la tamarisso
moutile
s'aluencho de sa souco
e pamens la quito pas
dins li ventado dóu vènt de sablo
l'istant desnouso
ço que la durado avié liga
après li dentado dóu vènt de sablo
l'innoucènci dóu ribage
Annelyse Chevalier
et l'École félibréenne Siand'Aqui
Vau-Verd lou 12 de fébrié 2020
Car Moussu Guigou,
Estènt la Cabiscolo de l'Escolo Felibrenco Sian D'Aqui, es en moun noum et pèr touto la chourmo d'escoulan que vous gramaceje calourosamen pèr voste tras que bèn libre de pouèmo. Es un vertadié plasé de legi aqueli vers tant bèn. Un bel oumenage tambèn a voste paire e pèr nautre, à Vau-Verd*. Encaro un bèn gramaci pèr vost'obro e longo mai à la pouesio.
Amista felibrenco
Aniliso Chevalier
*{Cette phrase se réfère à ma longue dédicace du livre dans laquelle j'évoque des moments de mon enfance à Vauvert où j'entendais "les vieux parler patois" c'est-à-dire parler provençal : dans les rues du village mais aussi dans la salle d'attente du cabinet médical de mon père. Note de JG. avril 2020.}
Prouvènço d'aro LIBRUN janvié de 202 n° 361 p.8 L'avenimen d'un ribage Avenimen d'un ribage es lou vinten recuei de pouësio de Jaque Guigou publica pèr lis edicioun L'Harmattan. Lou bèu gàubi de la pouético franceso d'aquel autour se retrobo dins la traducioun prouvençalo que n'a fa Jan-Glaude Forêt baiant en perfèto imparcialeta lou tèste dins li dos grafio óucitano e mistralenco, co que countentara noste mounde à la lengo escournado pèr lou biais d'escriéure. Paraulo dis aigo, di vènt, di sablo, dóu lume e dis èstre de ravimen, la pouësio de Jaque Guigou caupié despièi sa debuto uno voues óucitano retengudo. La vaqui ansin avenido sus aquéu ribage.
Fàci i ventado dóu vent de sabblo
s'encagno
lou jouine brout de la tamarisso
moutile
s'aluencho de sa souco
e pamens la quito pas
dins li ventado dóu vent sablo
l'istant desnouso
ço que la durado avié liga
après li ventado dóu vènt de sablo
l'innoucènci dóu ribage
La pouésio de Jaque Guigou es dins sa sentido,
aqui en ribo de mar, di causo de la creacioun.
Bèuta que toco l'irraciounau dins soun biais
de vèire e d'espremi sa sensibleta.
Lou lengage pouèti bord à bord dins li dous parla gardo touto sa noublesso en conservant lou bèl image, lou grand ideau, la founso melancounie pèr baia
sa forço i mot francès o prouvençau.
De bon verai, de cap de biais, la lengo
nostro aducho pèr Jan-Glaude Forêt
afeblis pas l'estile, la magio irraciounalo di paraulo de Jaque Guigou, toujour presènto emé la penetracioun de sa sensibleta pèr espremi sa vesioun dóu mounde.
Lis autour Après un dóutourat de soucioulougio à l'Universita de Mount-Pelié sus li jouini
rurau en Lendadò, Jaque Guigou a entreprès
uno carriero universitàri. Es vuei
professour emerite de l'universita de Mount-Pelié. Es tambèn l'autour de plusiours oubrage criti sus li bourroulamen souciou-pouliti countempouran, creatour dis éditions de l'impliqué, e encaro coufoundadou de la revisto "Temps critiques". Publica despièi la debuto dis annado 1980 sis escrit de pouësio coustituisson uno autro dimension de sis ativeta umano.
Jan-Glaude Forêt es lou coufoundadou dis Edecioun Jorn que publicon de moulounado d'oubrage pouëti d'autour óucitan. - "Avenimen d'un ribage - Avènement d'un rivage" de Jacques Guigou. Poésie. Bilingue français/provençal. Traduction en provençal par Jean-Claude Forêt.
Un libre au fourmat 13,5 x 21,5 de 116 p. Costo 14 éurò en librarié. nostro aducho pèr Jan-Glaude Forêt www.editions-harmattan.fr
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