Plusieurs ouvrages ont traité de l'information dans les guerres " post-modernes " de l'après-guerre froide, en particulier durant le premier conflit contre l'Irak de Saddam Hussein. L'intérêt du livre de Marc Hecker est d'étudier le segment limité des hebdomadaires français : il en tire un panorama clair, à défaut d'être rassurant.
En gros, son constat tient en trois points. La masse des articles publiés par ces hebdomadaires, avant l'ouverture des hostilités, et pendant ces hostilités, exprime une doxa très majoritaire : la guerre est inévitable ; Saddam est le diable ; l'armée irakienne est l'une des plus puissantes du monde ; la guerre qui s'annonce est juste ; la guerre qui se fait est propre. Cette guerre étant d'abord présentée comme un spectacle (à l'image des bombes traçantes frappant de nuit Bagdad pour le plus grand profit de CNN), on s'avise tard (en février) qu'elle tue : la haute conscience journalistique questionne alors l'idée commune de la guerre technologico-chirurgicale. Enfin, si les énoncés de certains hebdomadaires sont plus pluriels que d'autres (Le Point se distinguant dans son alignement sur la vulgate américaine), seuls le Canard enchaîné ou L'Humanité adoptent un ton anti-guerre, ou systématiquement critique à l'encontre des vérités révélées du politico-militaire.
On lira avec intérêt cette étude fouillée, basée sur les textes et sur de multiples entretiens avec des journalistes, ou des responsables militaires. Par prudence intellectuelle, sans doute, l'auteur parle à de multiples reprises d'un consensus " apparent " des hebdos : la lecture n'accrédite pas son adjectif. Le consensus autour d'images auto-fabriquées, ou de données de propagande (parfois seules disponibles) est un fait - même si un poignée de minoritaires résistent. Et c'est encore ensemble que les journalistes vireront de bord début février en dénonçant les ravages d'une guerre qu'ils n'avaient pas eu le temps d'imaginer…
D'où la question : pourquoi ? Si l'on passe les explications trop simples (l'inféodation au complexe militaro-industriel, ou pétrolier), ou l'incurable bonne conscience journalistique (Jean-François Kahn : " Ce n'est pas la télévision qui a menti, mais le mensonge qui s'est servi de la télévision " !...), on retrouve non tant la propagande politique, mais l'auto-intoxication des médias. Après tout chacun son métier : les militaires contrôlent l'information de terrain ; les politiques font croire à la justesse de leur cause. On imagine que le métier des journalistes est de chercher le fait, et d'en faire une information présentable au public. Naïveté. L'ouvrage de Marc Hecker - même si ce n'est pas là son but - traduit, presque à son insu, la vérité des médias d'aujourd'hui : la " demande d'information " est trop forte (mais qui la créée ?) pour qu'un journal, ou pire une télévision, puisse ne rien montrer, dire peu, exprimer son ignorance - que cette dernière soit due à l'incompétence (ah ! Josette Alia décrivant les mini-Tchernobyl ourdis par Saddam…) ou au black out militaire. Il faut dire, être là, faire spectacle, la presse écrite emboîtant le pas de médias télévisés qui font norme.
Le livre rend certes à sa manière justice au " difficile métier de journaliste ". Mais la " difficulté " renvoie plus à l'aliénation du système médiatique qu'à la méchanceté des censeurs. Les instruments de réflexion fournis par Marc Hecker sont précieux. On attend une étude sur le consensus médiatique anti-Saddam en 2002 dans la presse américaine, et sur le consensus anti-américain de la presse française à la même date. On n'a pas la presse qu'on croit, mais celle qu'on mérite.
Dominique David
POLITIQUE ETRANGÈRE, mars 2005